Quentin Tarantino, Cinéma spéculations

Réédition en poche de l’ouvrage de Tarantino Cinéma spéculations. Tarantino étant Tarantino, c’est-à-dire un des rares réalisateurs américains capables de parler un peu de Belmondo, de Delon ou de Chabrol, la première édition, sortie l’an dernier, avait joui en France d’un buzz peu commun pour un ouvrage sur le cinéma : on tenait là un livre qui s’apparentait au Hitchcock par Truffaut.

En réalité, nous avons affaire à un ouvrage d’un tout autre genre, si tant est, d’ailleurs, qu’il appartienne à quelque genre que ce soit. Sur la couverture, on peut lire l’accroche suivante : « Je voulais écrire sur le cinéma et j’ai fini par vous raconter un peu l’histoire de ma vie. » On ne saurait mieux résumer la force et la faiblesse de l’entreprise. Tarantino nous entraîne assez souvent where no critic has gone before, mais les territoires qu’il nous fait découvrir ne sont pas tous dignes d’intérêt.

Cinéma Spéculations est a priori une suite de chapitres traitant chacun d’un film ou d’un sujet particulier, mais le savoir de QT en matière de cinéma est si encyclopédique qu’il ne peut s’empêcher de rapprocher constamment tel film de dix ou vingt autres films. Et ses démonstrations sont extrêmement convaincantes. Comme tout art, le cinéma s’inscrit dans une histoire, et un film comme Taxi Driver, qui fit la célébrité de Scorsese et de De Niro, pourrait bien être le remake plus ou moins avoué d’un western classique et ne saurait en outre être totalement isolé – n’en déplaise aux cinéphiles intégristes – de la série bourrine des Justicier dans la ville interprétés par Bronson. Il ne s’agit pas de dire si Untel a copié Untel, mais simplement de constater qu’il existe une chose qui s’appelle l’inconscient collectif et qu’un même sujet peut retenir à un même moment l’attention de différents individus.

De ce point de vue, Cinéma Spéculations s’apparente aux making of qui viennent enrichir DVD et Blu-rays dans la mesure où Tarantino, étant du bâtiment, a pu discuter lui-même avec un certain nombre de réalisateurs et de producteurs et les interroger sur les conditions dans lesquelles tel ou tel de leurs films avait pu se faire… ou ne pas se faire.

S’ajoute dans cette affaire, pour les sartriens que cela intéresserait, un petit côté Les Mots : l’amour du cinéma est très clairement ce que le jeune Quentin avait trouvé pour combler l’absence d’un père ayant abandonné le foyer très vite. Le cinéma était d’ailleurs la « discipline » sur laquelle il faisait passer un test aux petits amis de sa mère : n’étaient à son goût que ceux qui partageaient sa passion.

D’où vient alors que, malgré cette érudition et cette passion, la lecture de Cinéma spéculations n’entraînera probablement pas l’enthousiasme du cinéphile « moyen » ? Un bon nombre de pages – sur les cinq cents qui composent cet ouvrage – sont, disons-le, fort ennuyeuses. Signalons d’abord que l’érudition n’empêche pas quelques curieuses lacunes : absence quasi-totale de références littéraires, alors même qu’un des points forts de Tarantino est sa maîtrise des dialogues ; rien non plus sur le cinéma asiatique, quand plusieurs de ses films s’en sont étroitement inspirés. Mais il arrive, inversement, que cette érudition tende à exclure le lecteur. D’abord parce que s’introduisent à l’occasion des données people qui, si authentiques soient-elles, font oublier le film dont on parle. Savoir que tel acteur a été écarté de la distribution parce que le réalisateur ou le producteur ne lui pardonnait d’avoir été l’amant de sa femme ? Oui, bon, et alors ? À quoi bon spéculer sur ce qu’aurait pu être le film ? Voyons plutôt ce qu’il est. Ensuite parce que, si l’on peut admettre ce genre de tergiversation quand il tourne autour de comédiens célèbres, on ne sait plus très bien à qui s’adresse le geek Tarantino quand il s’interroge sur la pertinence du choix pour un second – voire troisième – rôle de tel comédien parfaitement inconnu du spectateur, en tout cas du spectateur français ordinaire.

C’était, sauf erreur, René Clair qui, dans une Radioscopie jacques-chancélienne, regrettait il y a un demi-siècle de voir se dessiner une nouvelle génération de cinéastes possédant une parfaite connaissance du cinéma, mais faisant fi de toutes les autres disciplines artistiques. QT pourrait bien relever de cette catégorie.

FAL

Quentin Tarantino, Cinéma spéculations. Traduit [avec surdose de passé composé] de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard. J’ai Lu, mai 2024. 10,50 euros.

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