Colbert, l’ombre du grand Siècle

Un spécialiste de l’Ancien Régime

Elève de Pierre Gobert, Daniel Dessert est connu du public des amateurs d’histoire pour ses ouvrages portant sur la finance : il a ainsi tiré de sa thèse un ouvrage magistral, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle (Fayard, 1984) et plus récemment il a publié L’argent du sel, le sel de l’argent (Fayard, 2012). On lui doit aussi des biographies de Fouquet (Fayard, 1986) et du marin Tourville (Fayard, 2002) ainsi qu’une synthèse éclairante sur la marine de Louis XIV, La Royale (Fayard, 1996). On l’a souvent vu aborder la figure de Colbert, souvent de manière critique. Il a décidé ici de s’attaquer frontalement à celui qu’il a nommé autrefois le « serpent venimeux ». Pour quel résultat ?

L’ascension d’une famille

Avec beaucoup de minutie, Daniel Dessert nous raconte comment les Colbert, famille bourgeoise ayant des ramifications en Champagne, en Picardie et en île de France, a réussi son ascension sociale sur plusieurs générations. De cette rapide enquête prosopographique, il ressort que les Colbert ont su faire preuve d’une solidarité familiale à toute épreuve : quand une branche s’éteint, tout revient aux collatéraux par exemple.

Leur chance est d’avoir choisi le camp de l’homme rouge, Richelieu, tout en entretenant des liens étroits avec le milieu de la finance et des fermiers généraux, ces hommes chargés par la monarchie de lui avancer les revenus de la taille et de la gabelle (l’impôt sur le sel). Des hommes cruciaux en cas de guerre, un état que la France connaît à partir de 1634 jusqu’à la signature du traité des Pyrénées en 1659.

L’homme de l’ombre en pleine lumière

Et Colbert en tout ça ? Pur produit de la haute finance, le jeune Colbert gravite très tôt dans les sphères du pouvoir grâce à Michel Le Tellier. Mais c’est Mazarin qui lui donne sa chance. Principal ministre de Louis XIV dont il est le parrain, l’italien bâtit aussi une immense fortune par tous les moyens dont il dispose (cela n’enlève rien à ses mérites d’ailleurs, l’homme était fin diplomate et a su vaincre l’Espagne des Habsbourg).

Loin de l’image stéréotypée héritée de l’historiographie de la IIIe République, Colbert est la principale cheville ouvrière de ce système. Grâce à la recommandation de Mazarin sur son lit de mort, Louis XIV le prend dans l’administration des finances pour faire contrepoids à Fouquet. Compromis dans les malversations de Mazarin, Colbert doit se racheter une conduite et fait tout pour perdre Fouquet, quitte à falsifier les pièces. S’il laisse la justice poursuivre quelques financiers, il sait aussi jusqu’où aller pour ne pas remettre en cause le système des financiers. Colbert apparaît ici comme un ambitieux avide qui réussit à évincer son rival. Et pour quoi au final ?

Un bilan en demi-teinte

Si l’on suit Daniel Dessert, qu’a réussi Colbert ? Dans les années suivant la chute de Fouquet, l’Etat royal prononce des peines contre des financiers… Jusqu’à une certaine limite. Colbert prend garde à ne pas s’aliéner certains clans. Son but est simple : mercantiliste, il veut rendre la France autosuffisante en or et développer la marine et les colonies. Si la marine française se développe, la plupart des vaisseaux ne sont pas au niveau des marines anglaises et néerlandaises (sur le tirant d’eau). Conséquence d’un fonctionnement trop bureaucratique ? Et puis Colbert devra financer des guerres coûteuses, surtout la Hollande. Cependant, il n’oublie pas son clan qui occupera jusqu’à la fin du règne une place centrale.

Dans ce livre, l’absolutisme a le visage de la mafia… Voici une vision roborative du mythe « Colbert ». A méditer.

Sylvain Bonnet

Daniel Dessert, Colbert, Fayard, mai 2019, 320 pages, 22 eur

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