Victor Hugo, Ce que c’est que l’exil : un témoignage très actuel

Texte bref, d’une cinquantaine de pages, et défini par Hugo lui-même comme une « esquisse », Ce que c’est que l’exil, écrit en 1875, n’en est pas moins, comme son titre l’indique, une réflexion sur ses vingt années passées dans les îles anglo-normandes pour échapper à la France de Napoléon III. Les détracteurs de Hugo pourront ironiser en disant que ces deux décennies  n’ont pas été pour lui et pour son inspiration une trop mauvaise chose, puisque c’est pendant cette période – qui est exactement celle du Second Empire – que sont nés, entre autres, les romans L’Homme qui rit, Les Travailleurs de la mer et Les Misérables, chacun centré autour d’un exclu (Gwynplaine, Gilliatt, Jean Valjean) dans lequel on peut aisément déceler un alter ego de l’écrivain. Un alter Hugo. Mais il n’est pas interdit de considérer que, comme Sénèque l’expliquait à sa mère pour la consoler, l’exil n’est au fond qu’un autre nom de la condition humaine, depuis ses origines. Et, si l’on veut une référence judéo-chrétienne, Adam et Eve n’ont-ils pas été chassés du paradis terrestre ? Mieux encore, n’étaient-ils pas déjà exilés à partir du moment où, comme Hugo l’explique à la fin des Contemplations, Dieu, dans sa grande bonté, les avait séparés de lui pour leur offrir leur liberté, tout comme des parents doivent un jour accepter de voir leurs enfants s’éloigner ?

Soyons franc, les détracteurs de Hugo pourront aussi s’en donner à cœur joie en dénonçant le caractère ampoulé de certaines phrases, voire de certaines pages. Le souffle « épique » engendre à l’occasion quelques baudruches stylistiques absconses et d’un goût discutable :

« Puisqu’il [le proscrit] est au bord de la mer, qu’il en profite. Que cette mobilité sous l’infini lui donne la sagesse. Qu’il médite sur l’émeute éternelle des flots contre le rivage et des impostures contre la vérité. Les diatribes sont vainement convulsives. Qu’il regarde la vague cracher sur le rocher, et qu’il se demande ce que cette salive y gagne et ce que ce granit y perd. »

On pourra donc se gausser de ce genre de passage, mais le texte reste d’une incroyable actualité lorsqu’il expose le douloureux paradoxe de la situation du proscrit. Le proscrit, d’une part, si accueillant que soit son pays d’accueil, ne peut s’empêcher de repenser sans cesse à son pays, et d’autre part, et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer a priori, il n’est jamais séparé objectivement de son pays d’origine, puisque l’une des spécialités des gouvernements despotiques consiste à aller traquer ceux qui les fuient pour les ramener à de meilleurs sentiments, ou, plus radicalement, à les éliminer.

« Le maître, qui est le traître, vous entoure de qui bon lui semble ; le proscripteur dispose de la qualité de proscrit ; il en orne ses agents ; aucune sécurité ; prenez garde à vous ; vous parlez à un visage, c’est un masque qui entend ; votre exil est hanté par ce spectre, l’espion. Un inconnu, très mystérieux, vient vous parler bas à l’oreille ; il vous déclare que, si vous le voulez, il se charge d’assassiner l’empereur ; c’est Bonaparte qui vous offre de tuer Bonaparte. »

Toute ressemblance avec des régimes actuels ne serait bien entendu que pure coïncidence.

FAL

Victor Hugo, Ce que c’est que l’exil, préface et notes d’Henri Scepi, Gallimard, Folio Sagesses, janvier 2025, 96 pages, 4 euros

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