Vous mélangez dénoter, détonner, détoner ? Rien d’étonnant !

Pourquoi tant de -n ?

Parler en verlan peut avoir son charme. Encore faut-il le faire consciemment. Or, était-il bien conscient, le commentateur politique qui affirmait récemment que l’attitude du Royaume-Uni dénotait dans les nations européennes ? Il voulait dire en fait que le Royaume-Uni détonnait. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faisait boum.

Ne cherchez pas, Messieurs les Jurés : le responsable de ce méli-mélo, c’est en français le préfixe dé-, auquel on est tenté d’attribuer systématiquement une valeur négative : faire/défaire ; monter/démonter ; bloquer/débloquer… C’est vrai la plupart du temps, mais ce n’est pas toujours vrai. Démontrer n’est pas le contraire de montrer ; un jean délavé  n’est pas un jean sali, mais un jean lavé à outrance, ce qui est tout à fait différent.

L’ambiguïté vient probablement du fait que le préfixe de- indique en latin l’origine. Et l’origine joue toujours un double jeu. L’endroit d’où l’on vient (et auquel, d’une certaine manière, on reste attaché, ne serait-ce que parce qu’on le mentionne) est aussi l’endroit qu’on a quitté. Out of Africa : ce titre ne voulait pas dire que le film allait se dérouler en Australie ou en Amérique du Sud, mais qu’il allait s’attacher à ce qui allait rester de l’Afrique, à l’empreinte qu’allait laisser celle-ci dans l’âme des héros. (L’affiche française proposait d’ailleurs comme sous-titre Souvenirs d’Afrique.)

Cas de figure particulièrement vicieux : le verbe desservir. Ce fourbe mange à tous les râteliers. Le bureau de poste dessert plusieurs communes, autrement dit il leur rend service. Mais son attitude désinvolte a desservi Jacques, autrement dit lui a nui. 

Bien loin d’exprimer une idée négative, dénoter signifie marquer on ne peut mieux, indiquer, révéler. La présence de cendres au bord du cratère dénote une activité volcanique. Nota en latin veut dire la marque, et il n’y a pas du tout l’idée d’une « fausse note » dans dénoter (1). Donc, quand le Royaume-Uni se démarque des autres nations européennes, il ne dénote pas : il détonne.

Mais nous voici partis pour un deuxième round : il ne faut pas en effet confondre détonner et détoner. Si l’on vous dit que l’un de ces deux verbes signifie faire boum, exploser, il est tentant de parier sur le premier, puisqu’il ressemble à tonner et à tonnerre. Perdu ! Pensons à détonation ou à détonateur, avec un seul -n, si nous entendons faire détoner une charge explosive.

La « fausse note » que certains croient signaler avec dénoter se trouve en fait dans détonner. Avec deux -n, vraiment, alors même qu’il a pour origine le latin tonus, lui-même dérivé du grec tonos, l’un et l’autre avec un seul -n ? C’est qu’il fallait sans doute différencier détonner et détoner, ces deux jumeaux presque aussi faux que les Dupont-Dupond. Tonos, c’est le ton en musique, ou plus précisément la tension de la corde de la lyre ou de la harpe, et donc, le Royaume-Uni détonne lorsqu’il est en désaccord avec les autres pays européens. 

Vous trouvez que cela est un peu compliqué ? Il fallait prendre des notes.

FAL

(1) Face à la dénotation, qui est le sens littéral d’un terme, la connotation est ce qu’on lui associe plus ou moins implicitement. Par exemple, le mot garce, qui était simplement à l’origine le féminin de gars, a vite pris une connotation péjorative (si forte à vrai dire qu’elle ne se distingue plus guère aujourd’hui de sa dénotation !). À l’inverse, l’adjectif formidable, qui signifie étymologiquement qui fait peur, a pris petit à petit une connotation positive. 

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