Sans retour de Walter Hill, un film à sortir de l’oubli
Extreme Prejudice, 48 Heures, Double Détente, Le Gang des frères James, Les Guerriers de la nuit, Les Rues de feu… La filmographie de Walter Hill est si variée qu’elle contient forcément des films moins bons que d’autres (Du plomb dans la tête, par exemple, n’a rien de mémorable malgré la présence de Stallone). Mais comme la vie est injuste, ce ne sont pas forcément ses plus mauvais films qui ont été ses plus gros échecs commerciaux. Southern Comfort (Sans retour) n’attira guère les foules américaines à sa sortie en 1981, alors même que c’est une œuvre bien plus subtile qu’il ne semble. Trop subtile, peut-être ?

Il faut dire qu’il s’agit d’un faux film d’action. Certes, coups de feu, explosions, combats au corps à corps ne manquent pas, mais l’essentiel est ailleurs. L’argument est d’une simplicité désarmante : un banal exercice d’entraînement pour une dizaine de membres de la Garde nationale de Louisiane. Un simple jeu, vraiment : ils ont des armes, mais ne disposent que de balles à blanc. Leur mission consiste à traverser un bayou : affaire de quelques heures. Seulement, le jeu devient très dangereux quand l’un de ces garçons, un peu excité, s’amuse à tirer sur des Cajuns locaux. Avec des balles à blanc, répétons-le. Mais les Cajuns ripostent, eux, avec des balles réelles. Dès lors, la chasse est ouverte et le film devient dans une large mesure un film d’épouvante (n’oublions pas que Walter Hill a été l’une des chevilles ouvrières de la série Alien).
Dans les bonus qui accompagnent les éditions DVD et B-r/HD de Sans retour proposées ces jours-ci par L’Atelier d’images, Keith Carradine explique qu’il était difficile de ne pas voir dans cette histoire une allégorie de la guerre du Vietnam. Walter Hill ne rejette pas cette interprétation si c’est celle du public, mais il affirme qu’il voulait seulement raconter une histoire. Disons que, si involontaire qu’elle ait pu être, c’est cette référence au Vietnam qui a dû entraîner l’échec commercial de Sans retour au moment de sa sortie, car les Cajuns/Vietcongs représentent, certes, une menace d’autant plus réelle qu’elle est le plus souvent invisible, mais, bien plus grave encore, ils sont aussi et surtout le catalyseur de tensions et d’oppositions entre ces boys de la Garde nationale. On découvre ainsi que l’un d’eux n’a pas respecté les règles et a apporté avec lui son stock personnel de balles réelles ; tel autre qui pouvait apparaître comme le plus raisonnable de la bande devient littéralement fou ; tel autre encore décide de « déserter » ; le chef du groupe a beau brandir contre les insoumis le spectre de la cour martiale, petit à petit son autorité s’effrite… Nous assistons donc – et c’est ce qui a dû souverainement déplaire aux Américains – à la désagrégation d’un groupe qu’on pouvait croire uni au départ, et dans cette nouvelle version des Révoltés du Bounty, l’action n’est plus tant dans les affrontements physiques que dans les dialogues – ou, ce qui revient au même, dans les silences. On a tendance à l’oublier, mais, à côté des images, la rhétorique a toujours été l’un des éléments majeurs du cinéma américain. Se dégage donc l’idée qu’on peut perdre une guerre du fait de la supériorité de l’ennemi, mais aussi du fait des dissensions à l’intérieur de son propre camp.

Saluons ici la maîtrise de la mise en scène de Walter Hill. Sans retour, tout en étant un film d’extérieurs tourné dans les vrais extérieurs (et dans des conditions particulièrement pénibles), n’en a pas moins paradoxalement la force d’un huis clos.
FAL
Sans retour (Southern Comfort), un film de Walter Hill, avec Keith Carradine, Powers Boothe, Fred Ward, Peter Coyote. L’Atelier d’images, B-r/HD et DVD, sortie février 2025