La grande peur de juillet 1789 : l’histoire sans cesse recommencée

Professeur émérite à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de l’institut d’histoire de la Révolution française, Jean-Clément Martin est connu pour de nombreux ouvrages qui ont fait date, comme Nouvelle histoire de la Révolution française (Perrin, 2012), Robespierre, la fabrication d’un monstre (Perrin, 2016) ou plus récemment Penser la Révolution française (Tallandier, 2022). Ici, il revient sur la grande peur, à la suite de l’historien Georges Lefebvre, auteur d’un livre phare sur la question dans les années 1930.

Réécrire Lefebvre ?

Car Jean-Clément Martin a découvert une boite en carton contenant des milliers de pages de notes pris par son prédécesseur. Car les notes prises par Lefebvre contredisent la démonstration qu’il opère dans son ouvrage.  Quelle était-elle ? selon lui, la propagation de la rumeur selon laquelle des brigands déferlaient sur la France aurait fait fuir les paysans, armer les gardes nationales et conduit à la nuit du 4 août et à l’abolition des privilèges. Or la documentation rassemblée par Lefebvre démontre que la France de l’époque a connu de très nombreux désordres, mais pas partout (le Bordelais est épargné) et pas de la même ampleur. Et Martin de s’interroger sur la place du peuple et de sa violence en juillet 1789.

Un été de tous les dangers

Notre historien reprend donc le déroulement des faits. Or il apparaît que la France de l’époque connaît des désordres… déjà connus auparavant. On sait que le XVIIIe siècle abonde de désordres ponctuels, d’émotions populaires souvent réprimées par les autorités royales et les élites. Or celles-ci durant cet été 1789 ne remplissent plus le même rôle. Beaucoup sont à Versailles au sein des états généraux, en conflit avec un roi en pleine crise existentielle. Quant aux désordres de cet été 89, il y a de tout, y compris des attaques contre les juifs en Lorraine et en Alsace, du brigandage, des châteaux brûlés et des aristocrates tués (en petit nombre). Ce peuple en tout cas finit par inspirer la crainte. Et l’abolition des privilèges et des droits féodaux est autant l’aboutissement d’un processus (beaucoup sont convaincus depuis longtemps qu’il s’agit de quelque chose de nécessaire) que d’une réaction pour ramener le calme. La Révolution en est à ses débuts. Et pourquoi Lefebvre a-t-il tenu sa thèse ? Il est sans doute le fruit de son époque, celle de février 34. Le lot de tous les historiens sans doute.

Intéressant.

Sylvain Bonnet

Jean-Clément Martin, La grande peur de juillet 1789, Tallandier, mars 2024, 416 pages, 22,90 euros

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