Trois jours et une vie, Nicolas Boukhrief adapte Pierre Lemaitre

bigger than death

Ne croyez pas la publicité quand elle présente Trois jours et une vie comme un thriller. Ne croyez pas Nicolas Boukhrief quand il dit qu’il n’est pas poète. Une nouvelle fois, il prouve que nul ne sait mieux que lui réveiller les morts.

La trame policière qui est au centre de Trois jours et une vie se présente de telle manière qu’il est difficile d’évoquer ne serait-ce que les cinq premières minutes de ce film sans exposer l’ensemble de l’intrigue. C’est pourquoi nous parlerons du premier plan. Juste du premier plan.

Autrement dit, de la totalité de la filmographie de Nicolas Boukhrief.

Ce premier plan, c’est un ciel de nuages, au-dessus d’une forêt. Autrement dit la suite directe du dernier plan du précédent film du réalisateur, Un ciel radieux. À ceci près, bien sûr, que, dans Un ciel radieux, la caméra s’élevait vers le ciel et qu’ici, nous devinons qu’elle va nous inviter à redescendre sur terre, au moins pour un temps.

Cette continuité, ou plus exactement ce retour en arrière qui ressemble à un « repentir » de peintre se dessinait déjà dans la faute d’orthographe présente dans le titre du premier film de Nicolas Boukhrief, Va mourire. Ce -e de trop n’était pas une faute, mais un signe : non content d’adoucir la fatalité du verbe mourir (entre autres en faisant surgir en lui le mot rire ­­– et Lacan aurait même dit un mou rire), il le prolongeait, et ce prolongement venait contredire l’idée même de la mort. La devise qui se dessinait à travers ce -e, ce n’était pas Meurs un autre jour, mais bien plutôt « Continue de vivre même si tu es déjà mort », ce qui, soit dit en passant, n’est autre que le principe fondateur de la poésie.

Nicolas Boukhriel sur le tournage de Trois jours et une vie

Pour « jouer les prolongations », il y a d’abord le truc qui consiste à jouer toujours sur le titre, mais en l’étirant avec une parenthèse : Le Plaisir (et ses petits tracas), réalisé par Boukhrief après Va mourire, ou encore Assassin(s), qu’il n’a pas réalisé, mais qu’il a co-écrit avec Mathieu Kassovitz.

L’autre méthode est un passage en fraude, qui s’applique au film lui-même : on raconte une histoire de mort-vivant en la maquillant en thriller. Dans Le Convoyeur, Dupontel est inscrit dès le début dans le registre des morts. Mais on devine que les dieux des Enfers lui ont accordé une « permission spéciale » pour qu’il puisse se venger comme il convient (Lacan nous dirait encore que le nom de l’hôtel Ibis où il réside peut se lire en latin i bis, autrement dit « va une seconde fois »). Ce thème d’une zone intermédiaire entre la vie et la mort, mais avec de véritables fantômes, s’affirme de façon officielle avec Silent Hill (le film est réalisé par Christophe Gans, mais Nicolas Boukhrief a planché avec lui sur le scénario). Et plus officiellement, plus évidemment encore, avec Un ciel radieux, inspiré d’un manga japonais, où un mort « se réveille » dans le corps d’un autre, mais pour une résurrection provisoire, que le ciel lui accorde pour qu’il puisse, avant de disparaître pour de bon, régler ses affaires et mettre sa femme et sa fille à l’abri du besoin.

Mort « cérébrale » dans Cortex, mais là encore repoussée. Dussolier, ancien flic, victime de la maladie d’Alzheimer et privé chaque jour un peu plus de sa mémoire, n’en parvient pas moins — grâce à une espèce de damier peut-être inspiré du Septième sceau — à mener jusqu’au bout l’enquête qui lui permettra d’identifier l’infirmière qui sème la mort dans la maison de retraite où il est pensionnaire. Et ce baroud d’honneur — cette dernière « fourberie de Scapin » — lui vaudra de retourner chez son fils pour finir ses jours parmi les siens.

On ne s’étonnera donc pas si l’une des figures librement imposées du cinéma de Nicolas Boukhrief est le flashback. Le Convoyeur (déjà cité), Made in France, La Confession ne sont finalement que les récits de personnages qui nous expliquent que leur histoire va peut-être se terminer bientôt, mais qu’elle ne s’est pas terminée aussi vite qu’on aurait pu l’imaginer puisqu’ils sont encore là pour la raconter. Il faut d’ailleurs se méfier de ces flashbacks — ce ne sont peut-être que des flashes forward déguisés. Le jeune prêtre qui vient au chevet de la vieille dame mourante au début de La Confession est évidemment la réincarnation, maladroite certes, mais bien réelle, du prêtre dont cette vieille dame retrace l’histoire dans sa confession.

Alors, oui, Trois jours et une vie (tiens, encore un titre « à rallonge », avec inversion de la hiérarchie dans la comptabilité du temps — parlerait-on des Une et mille nuits ?) est au départ un roman de Pierre Lemaitre, adapté par lui-même (avec la collaboration de Perrine Margaine), mais Trois jours et une vie, le film, est bien un film de Nicolas Boukhrief, dans la lignée de tous ceux qu’il a réalisés auparavant. L’accident mortel, le chien, les enfants, le retour au bercail, l’amour défait et retrouvé, la réincarnation tous ces éléments des Trois jours étaient déjà dans Un ciel radieux.

La différence avec ce nouveau film, c’est que tout se passe ici-bas, sans l’intervention de quelque élément surnaturel que ce soit. Mais il y a quand même cette forêt qui commande tout, ou qui s’affirme au moins comme l’agent du destin. Et aussi le fait que, si, in fine, toutes les pièces du puzzle se retrouvent chacune à la place qui convient et si l’on peut parler dans une large mesure de rédemption, cette conclusion morale résulte de la combinaison de divers éléments dont certains sont pour le moins ambigus. Le miracle est que ce n’est pas seulement en mathématiques que moins par moins peut être égal à plus. Nicolas Boukhrief explique dans le bonus de l’édition de Requiem pour un massacre de Klimov (qui sort cette semaine chez Potemkine Films) que, quelle que soit l’admiration que ce film suscite en lui, ce n’est pas un film « qui aide à vivre ». Le sien nous aide à ne pas désespérer.

FAL

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