Tenir en éveil la conscience, Yves Navarre

Yves Navarre est un homme brûlé. Écrivain en exil, exilé de lui-même, en recherche de ses pairs et brûlé. C’est un écrivain solaire à la fois, tourmenté, engagé, et seul. La solitude est le drame de cet écrivain. Seul contre lui-même, plus que seul contre les autres. Le nouveau Cahiers Yves Navarre, Tenir en éveil la conscience, est consacré à l’Engagement littéraire, politique et social chez cet écrivain singulier.

Yves Navarre est un écrivain qui aime les autres. Il aime ses personnages, mais il aime aussi tous les autres. Il les aime probablement contre lui-même.

C’est le 6 décembre 1975 que se tient chez Yves Navarre le SELF (Syndicat d’Écrivains de Langue Française). Ce moment est un temps de l’engagement, de l’« élan fraternel ». Karine Baudoin dans un article très détaillé, du n° 4 des Cahiers de Yves Navarre, publié chez H&O, consacré à l’engagement politique, littéraire et social de l’écrivain, comment l’auteur du Jardin d’acclimatation s’est engagé, corps et âme, jusqu’à cette brutale rupture avec Marie Cardinale, et cette missive, datant du 27 octobre, dans laquelle il l’accuse de ne l’avoir pas lu, lettre accusatrice et énervée, emplie de cette paranoïa à l’image de son auteur, qui signe sa rupture du SELF : « Je t’ai lue, mais tu ne m’as pas lu est l’image juste, adéquate. Un vide s’est fait « autour du SELF », dans le SELF, dont il faut que tu te demandes si ce n’est pas « autour de toi ». »

Yves Navarre écrivait sur son homosexualité. C’est notoirement connu. Il était militant. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il était souvent peiné lorsqu’on réduisait son œuvre à cette « sensualité », comme il aimait à l’appeler, dans une époque qui rejetait l’idée de la sexualité.

La “nature première” du texte navarrien est donc de « mettre en vie des sentiments » d’une part, et des attitudes de l’autre, en dehors de toute préoccupation idéologique autre que la recherche et la promotion du sensible »,

commente Frédéric Canovas

Yves Navarre ne l’a jamais caché, il vivait dans son encrier et écrivait avec son cœur et ses cicatrices. De son premier roman Lady Black au roman couronné par le prix Goncourt en 1980 Le Jardin d’acclimatation, puis les suivants, on ressent dans cette œuvre qui se construit, comme une « force tranquille » pour reprendre le terme que Frédéric Canovas utilise, alors qu’il se penche particulièrement sur Le Temps voulu, ce roman d’amour et de solitude de ce professeur de lettres qui aime les garçon et qui se demande à propos d’une rencontre qui n’aurait pas dû se faire, si ce garçon, il l’a vraiment connu.

Le temps et l’expérience, direz-vous. Lecture schizophrène s’il en est, celle du Temps voulu à plus de trente années d’écart m’a au moins révélé les progrès réalisés par la société française dans l’acceptation de l’homosexualité. »

On retrouve dans ce nouveau Cahier de Yves Navarre ce qui fait l’essence de l’œuvre de l’écrivain trop tôt disparu, l’engagement amoureux, l’écriture engagée, lui qui « a fait des milliers de kilomètres dans la vie et dans la rue pour rencontrer quelqu’un » (Le Temps voulu). Il est vrai que la sensualité d’Yves Navarre était une sensualité de la nuit. Et cette sensualité, qui le portait violemment vers des êtres de son sexe, le portait sûrement aussi vers quelqu’un, une personne qu’il recherchait en faisant des kilomètres à pieds, comme le font ceux qui ne peuvent pas s’exprimer aussi bien que les êtres qui se disent normaux. Et, je ne suis pas sûr, qu’il ait trouvé ce quelqu’un, et c’est même sûrement ce qui l’a tué…

« Je viens d’écrire la première page d’un roman qui n’a pas de sujet. Ce sera une parole ? une parole de fin d’année : quand la nuit tombe vite. »

Extrait du Journal d’Yves Navarre, écrit le 13 décembre 1981 et cité par Claude Guerre dans son article « Une lecture de Romance sans parole », dans lequel il analyse les métamorphoses de l’écriture de Navarre.

Yves Navarre et François Mitterrand, l’homosexuel face à la littérature, le pouvoir des mots, ce travail de plusieurs amis de l’auteur, quand je dis des « amis », je veux dire des auteurs qui analysent l’œuvre de l’écrivain avec une telle intensité que cela ne peut que nous toucher. On ressent des personnes qui sont à la recherche du sens et des marques que cet écrivain laissait derrière lui, comme des signes de reconnaissance. Il se disait « guetteur d’ombres », ils se sont faits guetteurs de lumière…

Yves Navarre aimait moins ses propres histoires que celles des autres, derrière lesquels existaient ses histoires. Il ne pouvait parler qu’à partir des autres et aux autres. C’est pourquoi on doit l’écouter. Ses paysages ne sont pas des paysages de pierres, mais plutôt des paysages saturés de vibrations. Je crois que c’est ce qui marque le plus dans cette œuvre…

Et je le dis, je le répète : Yves Navarre est vraiment un écrivain génial. Il faut le lire. Il faut le relire. Il faut le suivre. Vivre Navarre ! « On ne chante juste que dans les branches de son arbre généalogique », écrivait Max Jacob, cité par Yves Navarre à Apostrophes le 31 août 1979. Un an avant son Goncourt… N’est-ce pas ce que Yves Navarre s’est évertué à faire toute sa vie, en écrivant cette œuvre qui ne nous a pas encore tout dit ? C’est du moins ce qu’il prétend… On veut le croire !

Marc Alpozzo

Cahiers Yves Navarre, Tenir en éveil la conscience, Engagement littéraire, politique et social chez Yves Navarre, H&0, mai 2019, 16 eur

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