Le Traité théologico-politique de Spinoza
Violemment excommunié de la communauté juive d’Amsterdam, Baruch Spinoza fut très tôt, à vingt-quatre ans, confronté à quelque chose d’unique : la nature politique du religieux. Dans son Traité théologico-politique, dit T.T.P., publié en 1665, il envisage les religions en général comme des instances proprement politiques, gouvernant les esprits, en mettant l’accent sur l’imagination superstitieuse.
Le Traité théologico-politique est un des deux seuls ouvrages publiés du vivant de l’auteur, l’autre étant Principes de la philosophie de Descartes. Par crainte de poursuites politiques et religieuses, le Traité fut publié sans nom d’auteur et avec une fausse adresse d’éditeur, même si le livre lui fut vite attribué. L’ouvrage fut également interdit aux Provinces-Unies en 1675. C’est dire sa puissance subversive.
Une philosophie iconoclaste majeure
Le titre de l’ouvrage lui-même indique que dans ce traité il sera question de théologie. Pourtant il s’agit surtout d’extraire les conditions nécessaires d’une exégèse biblique rationnelle et de politique. Pour Spinoza celles-ci ne peuvent se rencontrer que dans leur rapport à la raison. L’objet de ce livre sera donc de montrer en quoi c’est à partir de la raison, et pour la raison, que se pose la question des limites du pouvoir des théologiens et du pouvoir de l’État.
La fin de l’État n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’État est donc en réalité la liberté. […] C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu(e l’homme) a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pour qu’il n’aille pas au-delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine. »
Aussi s’agira-t-il de poser les limites de l’État et d’en dégager la finalité afin de déterminer ensuite un espace de liberté pour les opinions des sujets. Spinoza démontre à la fois que la liberté de philosopher est non seulement utile, mais nécessaire à la piété, et que la liberté de philosopher est également utile, mais aussi nécessaire, à la sécurité de l’État.
Marginal, philosophe archaïque, voire même médiéval, Spinoza sera longtemps affublé de toutes les tares, parce que sa philosophie était trop moderne et iconoclaste pour son époque. Une époque faite essentiellement de piliers inébranlables de pensées dogmatiques. On ne comprenait ni sa conception de Dieu ni celle de la nature humaine, pas plus qu’on ne voyait les chemins de servitude qu’il dénonçait et ceux de la liberté qu’il traçait.
Dans la nouvelle traduction signée par Émile Saisset, cette édition est complétée et enrichie d’une préface de Thomas Römer. Il n’est jamais très tôt ni trop tard de découvrir ou de redécouvrir la philosophie de Spinoza, ses analyses subversives, iconoclastes, sa lecture rationnelle et critique des Saintes Écritures, et la radicalité de son propos, qui sera, j’en suis sûr, une réjouissance pour l’ensemble d’entre nous.
Marc Alpozzo
Spinoza, Traité théologico-politique, H&O, septembre 2018, 23 eur