Albert Londres doit disparaître

Pourquoi Albert Londres revient-il en Chine, sept ans après son exploration du pays-continent en pleine effervescence qui deviendra La Chine en folie (1925) ? Ses textes envoyés paraitront sous le titre posthume de La Guerre à Shanghai (1932). Mais le but réel de son voyage est inconnu. Car les conditions de sa mort, toujours mystérieuses, ouvrent à tous les fantasmes. Une avarie de son navire, le Georges Philippar, banale bien que fort meurtrier, ou un meurtre maquillé, comme le suggère déjà Régis Debray (1), nul ne possède la vérité. Frédéric Kinder et Borris s’emparent de l’hypothèse du meurtre et échafaudent dans Albert Londres doit disparaître un raison plus que plausible.

Albert Londres, ennemi public n° 1

Si sa devise, « porter la plume dans la plaie » le place au sommet du journalisme d’antan — rêvons qu’il revienne… — et fait son succès populaire, Albert Londres est un homme qui dérange. Et surtout les puissants qui agissent dans l’ombre d’une sociabilité et d’une honorabilité de façade. Alors, quand il part sans prévenir personne à l’autre bout du monde, les gazettes et les ministères s’affolent. Que trame-il ? Car bien sûr il ne doit s’agir de vacances…

Surtout qu’il part en Chine, alors secouée par la Révolution. et pour y rencontrer un vieil ami, très bien introduit. Le dernier voyage d’Albert Londres sera aussi pour lui l’occasion de revoir des amis, journalistes ou consuls, et de se jeter dans une dernière bataille. Bien sûr, il ne se savait suivi et menacé, mais il ne pouvait pas imaginer être assassiné. Et ce qu’il avait découvert était-il si dérangeant pour qu’on veuille le faire taire ?

L’hypothèse de l’assassinat politique

Le bateau coule, tout le monde tente de s’en échapper. Sauf Albert Londres. Il est resté coincé dans sa cabine. Mais celle-ci est fermée de l’extérieur, ce qui est un fait avéré. Qui s’en est pris au journaliste ? Les auteurs posent l’hypothèse suivante : un vaste complot qui pourrait faire tomber tout ou partie de l’état français. Le pot aux roses ne sera pas dévoilé, mais il est parfaitement plausible et pourrait « justifier » la raison d’état ayant conduit au meurtre.

Albert Londres doit disparaître un album très réussi, qui mêle un trait agréable et rythmé à un scénario intelligent et fin. L’hommage est rendu à la puissance du grand journaliste Albert Londres, par son pouvoir si immense qu’il n’y avait rien à faire pur le faire taire, sinon l’assassiner.

Loïc Di Stefano

Frédéric Kinder (scénario), Borris (dessin), Brice Follet (couleurs), Albert Londres doit disparaître, Glénat & treize étrange, 104 pages, mai 2022, 17,50 euros

(1) Dans Shanghaï, dernières nouvelles : La Mort d’Albert Londres (Arléa, 1999) repris en poche sous le titre Sur la mort d’Albert Londres (Arléa, 2008), ouvrage étonnamment absente de la bibliographie de cet album.

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