Une histoire orale d’Andrzej Zulawski
En tant que cinéphile acharné et, accessoirement, historien de cinéma, je suis toujours en quête de nouveaux livres et de nouveaux éditeurs osant se lancer dans la publication d’ouvrage sur le 7e art. Un pari osé car cette « niche » attire de moins en moins de lecteurs et, ipso facto, les livres se vendent de plus en plus mal. Je suis bien placé pour en parler.
Or, un peu par hasard, je suis tombé sur Le Chat Qui Fume. Une firme qui propose surtout des films avec, en parallèle, quelques ouvrages regroupés dans la collection Nitrate.
Ainsi ai-je lu Une histoire orale d’Andrzej Zulawski conçu et réalisé par Matthieu Rostac et François Cau, tous deux spécialistes du cinéma.
Je confesse n’avoir jamais été un fan de Zulawski. Je suis loin d’avoir vu tous ses films et – comme tout le monde !, si je puis dire – je garde surtout en souvenir L’important c’est d’aimer avec une bouleversante Romy Schneider.
En revanche, j’ai lu beaucoup d’articles et de réflexions concernant Zulawski. L’ensemble le décrit comme un monstre égocentrique capable du pire pour avoir le meilleur sur l’écran. Une sorte de successeur démoniaque de Clouzot, Pialat et quelques autres.
Qu’en était-il vraiment ?
Ce livre répond totalement à cette question. D’une façon à la fois précise et originale.
Il est basé uniquement sur des interviews. Aucune fioriture, pas de commentaires. Seulement quelques notes de bas de page pour apporter des précisions. C’est tout. Et c’est remarquable. Car ces interviews sont découpées, réparties dans tout l’ouvrage pour ne jamais laisser le lecteur. Au contraire, on passe de l’une à l’autre avec surprise et délectation même si certaines paraissent se contredire. On se retrouve complètement plongé dans les transes créatrices du cinéaste.
Des dizaines de personnes apportent ainsi leurs témoignages, leurs points de vue et parlent en toute franchise. Des témoins importants même si la plupart ont collaboré dans l’ombre : techniciens, producteurs, scénaristes. Plus quelques acteurs. Tous soumis à la rude discipline de Zulawski.
L’avantage de se baser sur des interviews est d’éviter l’analyse pesante, le questionnement inutile. Ces témoins racontent des souvenirs qu’ils émaillent parfois de commentaires jamais moralisateurs. Tout cela est plein de vie. Plein de bruit et de fureur aussi, à l’image du personnage central.
Ainsi, film après film, on assiste à la puissance de travail d’un cinéaste mais aussi aux nombreuses difficultés qu’il a dû surmonter.
Je crois qu’il n’existe pas de meilleur moyen de comprendre sa méthode de travail que de lire ce livre. Elle est au cœur du sujet. Et Zulawski en ressort comme un inévitable Dr Jekyll (charmant quand il s’agit de la préparation d’un film) et Mr Hyde (pouvant être tyrannique dès que le tournage commence). Un artiste pur et dur qui possède une vision précise de son œuvre et n’est jamais prêt au compromis.
On pourra objecter l’absence de certains témoins, notamment du côté des comédiens, mais l’ensemble est déjà si riche qu’il suffit largement à entrer dans l’univers et presque dans la tête de Zulawski. Rappelons que ce cinéaste polonais est né pendant la Seconde Guerre Mondiale et a disparu en février 2016, à l’âge de 75 ans. Et qu’il a indéniablement laissé une trace derrière lui, une façon de faire qui a marqué bien des artistes, et pas seulement dans le cinéma.
Histoire de glisser mon grain de sable dans cette mécanique parfaitement huilée, je ferai remarquer qu’il n’est pas question dans ce livre pourtant complet du projet Espion lève-toi. Zulawski était prévu pour le réaliser, mais Lino Ventura s’y est opposé après avoir appris ce qu’Andrzej comptait faire du scénario. Mais on est là à la limite de l’anecdotique.
Bref, s’il y a un livre à lire pour comprendre Zulawski c’est celui-ci. Il comblera les plus exigeants et passionnera les afficionados. Espérons que Le Chat Qui Fume poursuivra dans cette direction et proposera d’autres ouvrages sur des cinéastes de qualité.
Cette histoire orale est parue en octobre 2020. Je ne sais pas si on peut encore la trouver en librairie (et connaissant les libraires, cela m’étonnerait) mais il est toujours possible de se la procurer sur le site de l’éditeur.
Philippe Durant
François Cau et Mathieu Rostac, Une histoire orale d’Andrzej Zulawski, Le Chat Qui Fume, 270 pages, avril 2020, 20 euros