Miroir du temps, un inédit d’André Suarès

Poète et prophète par vocation, André Suarès(1868-1948) ne semble pas être passé à la postérité. Pourtant le talent est là ! Grâce à Miroir du temps, paru chez Bartillat, nous pouvons désormais découvrir l’ampleur des thèmes chers à l’écrivain, sous une forme inédite. Et goûter à cet immense talent, dans une édition établie par l’écrivain Stéphane Barsacq.

Héros de la solitude, aristocrate de la vie spirituelle, le plus méconnu de tous les grands écrivains, bref qu’il fut l’un des trois ou les trois à la fois, ce d’Artagnan ascétique, cet Alceste tiré à quatre épingles, cette âme ardente, ce caractère atrabilaire doit être lu pour ce qu’il est : un génie de la prose dont le verbe, dans son exil, a été le secours qu’il nous apporte à présent.

André Suarès aurait donc formulé la prophétie suivante : « On me lira en l’an 2000, on m’aimera, on se pressera autour de moi, qui ne serai plus là ; ou plutôt si, je me trompe totalement : j’y serai et ma vie présente, mon horrible vie aura été la rançon de cette autre vie-là, étant ma folie que de n’avoir jamais vécu que dans la vie future. » Il aura eu presque raison ! Grâce aux bons soins de quelques belles âmes, Suarès est toujours là, en 2019, et je le découvre et me presse autour de lui.

Comment vous expliquer mon enchantement ?

La postérité a retenu Gide, Proust, Claudel ou Valéry et a laissé sur le bord du chemin le pauvre Suarès. Pourtant, écoutons les propos si éclairés de Stéphane Barsacq dans la préface à cette édition qu’il a lui-même établie :

De manière générale, Suarès appartient à cette famille d’esprit qui va de Hello à Villiers et de Mallarmé à Claudel. Il tient également de Wagner, sa principale influence, et de Nietzsche, lui qui fut vécut à Rome auprès d’une des amies du penseur. »

Pour ceux qui ne connaissent pas Suarès, la préface de Stéphane Barsacq est intéressante et éclairante, tant cette existence fut curieuse et riche. Appartenant à la fois « à la légende » et autant à « un âge d’or des lettres qui semble révolu », Premier Prix au Concours général, normalien, « la question des origines est assurément capitale entre toutes pour cerner le génie de Suarès ».

André Suarès aborde chaque écrivain avec, à la fois, une profonde gravité et une légèreté suave : si « pour entendre Dostoïevski, il faut avoir beaucoup souffert ou dans la chair, comme les malades ou les pauvres ; ou dans l’âme comme les offensés de tout genre, les victimes des passions, de la cité et des hommes », Péguy est un génie moral et il « ne se trompe jamais sur le vrai fond des problèmes. Il va le chercher dans l’âme du peuple. »

Nous comprenons, grâce à la préface de Stéphane Barsacq, combien André Suarès, « donné mort de son vivant », était un écrivain transformé à chacun de ses livres, grand mystique, forcené de la réalisation intérieure et tragiquement écartelé entre le brûlant désir de s’accomplir dans son moi et de se préoccuper des affaires du monde. La grande quête qu’il mena avec une ferveur digne de celle des grands saints, fit de son écriture, un brasier dansant, telle la force d’amour de Thérèse d’Avila qu’il décrit « virile comme une épée », sans plan déterminé mais avec une poésie musicale qui redonne ses lettres de noblesses à tous ces écrivains, ces musiciens, ces peintres, ces philosophes, ces saints sur lesquels il écrit pour se comprendre et se connaître.

Abordant entre autres Chateaubriand, Barbey d’Aurevilly, Dostoïevski, Verlaine, Péguy, Céline, Malraux, Bach, Beethoven, Wagner, Vinci, Spinoza, Augustin, Thérèse D’avila, ce n’est pas moins que son testament qu’il nous est livré là !

Marc Alpozzo

André Suarès, Miroir du temps, édition établie par Stéphane Barsacq, éditions Bartillat, 2019, 25 eur

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