Space opera entre Dune et Fondation : la fleur de Dieu de Jean-Michel Ré

Ré mineur ou Ré majeur ? Space opera !

Avec La Fleur de Dieu de Jean-Michel Ré, j’avoue, j’attendais quelque peu au tournant la collection Imaginaire d’Albin Michel. Car concernant le Space opera ambitieux, le précédent opus dans le genre n’était, pour le moins, pas très convaincant. Oui, c’est ça, vous vous rappelez, impétrants lecteurs, ma moue dubitative face à la SF organique de Les étoiles sont légion de Kameron Hurley.

Mais bast, comme dirait l’autre ! Ici, l’étonnement est de mise ! Car quoi ! Quel est cet outrecuidant romancier qui se targue de créer un Space opera ambitieux, lorgnant, qui plus est vers les références tutélaires du genre ? Rien moins que Dune d’Herbert et Fondation d’Asimov ? Un français de surcroît !?

Alors pari fou mais réussi ou flop verbeux et casse-patte ? Voyons cela amis boojumiens…

Une envie de tisser

Prolégomènes à toute tentative honnête d’analyse, plantons le décor. Mazette ! Diantre ! Fichtre ! Et autres billevesées de la même eau ! Nous en avons pour notre argent cette fois ! Pensez, pas moins qu’un empire galactique de 18 000 mondes conquit par l’Humanité (pas d’Aliens à l’horizon étonnement) ! Onze millénaires (nous sommes en 10 996) de concorde efficace entre des ordres religieux œcuméniques, une structure politique scientifique appelée Ordo et une aristocratie militaire para-féodale de seigneurs de guerre avec armada spatiale joufflue ! Un beau menu ça non pour un Space opera ?

Bien sûr, cet ordre, peu ou prou équilibré (rire sardonique) est à l’aube de grands bouleversements…Chaos, révolution, révélation : bref la chienlit galactique ! Car Jean-Michel Ré, malin, nous a concocté un sacré cocktail de nœuds, de fils à retordre bien planqués dans les motifs de son tapis stellaire. Et comme bon roman choral qui se respecte, c’est la somme des parties qui sublime le tout.

Le Messie, la fleur et la quête

Bon, dit comme ça, on sent poindre l’idée que l’auteur nous refait le coup de Dune. Pas faux ! Mais pas que ! Certes, là, l’épice chère à la saga sablée, est remplacée par la Fleur de Dieu du Space opera éponyme (l’auteur s’occupe d’un projet de jardin pédagogique agro-forestier – ceci explique cela ?). En fait, la planète Sor’Ivanya est un mix improbable. À la fois proche du monde forestier d’un Genefort des Chasseurs de sève, grâce à ses arbres mondes, et de Dune d’Herbert ou de l’Outresable de Howey, par ses déserts suspendus au-dessus de la canopée sylvestre ! Vous suivez toujours ?

C’est pourquoi, la scène d’ouverture, vaut son pesant d’exclamations laudatives ! Un must have arboricole ! Y apparaît conjointement, l’étrangeté du monde de la Fleur de Dieu et l’intrigante déité du personnage dénommé sybillinement l’Enfant… Une escalade impossible d’un arbre totem. Comme une mission initiatique mûrement préparée et souvent répétée. De celle qui marquera les esprits — et c’est peu dire…

L’Enfant grimpe donc sur un majestueux if céleste. L’un de ceux qui soutiennent, à 600 m d’altitude, le désert secret et interdit où pousse la fleur sacrée. La Caj’ra Cemhaj’ra, l’indicible poison, le poison-fleur ou la Très-Sainte : LA fleur de Dieu !

Car si la plante divine aux pouvoirs puissants (des visions thaumaturges miraculeuses aux propriétés neurologiques infinies) semble, de prime abord, le nœud gordien des appétits mystiques des uns et des autres, c’est bien l’Enfant qui est le fil rouge de l’intrigue de ce Space opera complexe.

Méfions-nous de ces mythes que l’on nous présente comme les promesses d’un avenir meilleur ! On nous les a suffisamment resservis pour que nous ayons pu en savourer toute l’amer fadeur.


l’Avatar, l’Amiral et les (n)Anars

En effet, sorte d’Avatar cher à l’univers des mangas orientaux, l’Enfant défie les lois. TOUTES les lois ! Celles qui régissent ce monde d’ordre rationnel, surveillé par l’Ordo scientiste sous l’égide de l’Empereur. Celles d’un monde de foi, régi par le Credo, synthèse de Sourates qui unit en un tout crédible (crédule ?) les croyances des spiritualités ancestrales en un consensus diplomatique omnipotent. Celles des lois de la physique aussi, car il semble capable de tout depuis son sacrilège, son imprévisible ignominie : il a mangé une Fleur de Dieu !

Depuis, les manifestations improbables de ses pouvoirs, captées par les observateurs scientistes chargés de surveiller le désert suspendu de Sor’Ivanya, affolent les puissants. Laïcs, religieux, militaires. Chacun cherche à comprendre, à utiliser pour son ambition personnel, ce hiatus. Cette bascule de l’horizon des événements.

Quand un chaos survient, la loi de Murphy prédit bien sûr qu’il n’arrive jamais seul. Il a même tendance à voler en escadrille. Et côté escadrilles, le seigneur de guerre l’Amiral de Latroce, séide en chef le plus puissant de l’Empereur, n’est pas un pauvret. Loin s’en faut ! Latroce (quel nom !) manipule même la faction des mercenaires de Fawdha’Anarchia. Croit-il…

Trahisons, chaos et renaissance ?

Retors en diable, Le seigneur de guerre Latroce est aussi, l’éminence grise d’un coup d’état. De celui qui met cul par dessus tête les forces en présence. Les monopoles en cours (la Fleur de Dieu, les clones – dont ceux de combats ne sont que le bras armé d’un eugénisme terrifiant !). Les alliances spirituelles aussi, en plein nouveau conseil ecclésiastique. Réuni séculairement, il confine les factions religieuses en un huis clos tendu pour un seul objectif : amender les doxas du Credo. LA loi unique qui a cours dans l’Univers connu. Car elle synthétise les influences en un seul dogme. Celui des potentats de la science, soutenu par les aristocraties et les pouvoirs spirituels en place.
La seule ambition du seigneur de la guerre renégat : être calife à la place du calife !

Cependant, les révolutionnaires de Fawdha’Anarchia, qu’il croyait subjuguer, ont eux aussi planifié depuis 30 années une révolution systémique. Leur mission commando sur les labos de l’Ordo, dépositaire de la formule de la Fleur sacrée, réussit au-delà de leurs espérances. Mais alors qu’ils devaient remettre le secret entre les mains du seigneur de guerre, ils ont prévu un tout autre plan. Bien sûr, soudain, ça se met à sauter de partout ! Assauts concertés contre les centres de pouvoirs, contre les lieux de stockage de la Fleur de Dieu. Attentats lors du pélérinage centenaire et sacré, contre les faiseurs-d’ordre- police honnie et service séculier du système – ad nauseam…

L’Empereur Chayin et ses scientistes semblent quant à eux aux bords de l’implosion. Apparence trompeuse s’il en est, car ils gardent un atout majeur dans leur manche. La création par les chercheurs de l’Ordo de portes de transferts qui vont rebattre les cartes. Oui, mais pour qui ?

Rien de nouveau sous les soleils, really ? Que nenni, mon bon, que nenni ! C’est tout le contraire qui se met en branle, chacun y va de son plan parfait. Faisant fi du grain de sable — car il y en a toujours un dans les plans parfaits. L’Enfant, les révolutionnaires, un autre deus ex machina?

un Space opera en fondation

Alors oui, malgré la complexité de l’histoire, ne boudez pas votre plaisir. Ce tome de mise en place, polyphonique forcément dans sa construction, peut désarçonner le lecteur parfois. Trop de digressions parasites sans nul doute. Qui trop embrasse parfois mal étreint. Comme le glossaire de 150 entrées sur 40 pages en fin d’ouvrage qui explique les astérisques en cours de lecture. Comme les extraits, citation et autres intertextualités qui émaillent chaque tête de chapitre.

Mais c’est que Jean-Michel Ré a lu et bien lu ces maîtres-ès-Space opera. Le Herbert dunien dans le texte s’il est patent, est dépassé, in fine par l’autre grande figure tutélaire du livre. La trame réelle enclose dans cette toile, ici « simplement » entamée. Le cycle de Fondation d’Asimov transpire en effet tout au long du roman ! On pressent, sans regrets – car les influences maîtrisées sont autant de plaisirs assumés – que l’auteur nous construit son univers en pleine conscience (il y a travaillé 10 ans !). Comme avec la psycho-Histoire, le rôle du mulet ou l’acmé et la chute d’un empire comme Trantor chez Asimov, dans son univers, Jean-Michel Ré explore avant tout un unique et classique message.

L’Humanité n’a que faire des pouvoirs. Temporel, spirituel, naturel. Son seul espoir, entre essor et chute, réside dans une permanence des remises en cause. Des surgissements utopistes parfois surviendront, des moments miraculeux aussi. Sortes de perles de rosées fragiles qui nous relèveront de la chute, qui nous révéleront le meilleur de l’Homme. Le pire aussi . Car le prix à payer n’est-il pas trop lourd ?

Une Trilogie qui donne le La

Il va sans dire que j’attends avec curiosité la suite de cette trilogie. Le deuxième tome Les portes célestes vient de paraître. L’ultime roman Cosmos incarné étant prévu fin janvier 2020. Car la qualité des visions de son Space opera sont d’une rareté certaine par son ambition sous nos latitudes hormis Laurent Genefort, déjà cité, ou le regretté Ayerdhal son magistral Histrion et ses épigones. Sans parler de quelques tours de force jubilatoires comme le combat entre l’Enfant et trois clones de combats en mode Gaming !

Gageons que ses suites gommeront les quelques fioritures relevées ici et là et que le lecteur les dévorera avec délectation tout comme votre serviteur.

Révérence et chapeau bas Monsieur Ré !

Marc-Olivier Amblard

Jean-Michel Ré, La Fleur de Dieu, Albin Michel, « Imaginaire », juin 2019, 19,90 eur

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