Atlas de la France médiévale, quand les cartes racontent l’histoire
Pour moi, feuilleter un atlas historique n’est pas seulement parcourir des cartes. C’est plutôt se laisser guider par une manière particulière de raconter l’histoire. La troisième édition de l’Atlas de la France médiévale : Hommes, pouvoirs et espaces du Ve au XVe siècle, signée Antoine Destemberg, publiée chez Autrement en octobre 2025, ne déroge pas à cette règle. À travers près de soixante – dix cartes, schémas et infographie, l’auteur nous convie à un voyage de dix siècles où la France n’existe pas encore comme Nation mais se construit patiemment dans les recompositions politiques, religieuses, sociales et culturelles.
Qui est Antoine Destemberg ?
Antoine Destemberg, né en 1975, est maitre de conférences en histoire médiévale à l’université d’Artois. Il est également membre des laboratoires de recherche CREHS (Centre de Recherche et d’Etudes Histoire et Sociétés) et LAMOP (Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris). Ses travaux portent surtout sur l’histoire des élites intellectuelles, des universités et des réseaux savants du Moyen Âge. Il est l’auteur de L’honneur des universitaires au Moyen Âge (PUF, 2015)entre autres publications

Ce bagage d’historien des pratiques et des espaces sociaux irrigue cet ouvrage. L’auteur n’est pas un cartographe qui juxtapose des cartes mais plutôt un chercheur qui veut donner à voir autrement les dynamiques du temps long. Ce qui l’intéresse, c’est moins la frontière figée que le mouvement : celui des pouvoirs, des hommes, des croyances.
Les cartographes : Fabrice Le Goff et Guillaume Balavoine
L’édition est servie par le travail précis de Fabien Le Goff, cartographe indépendant qui conçoit et réalise des cartes garantissant leur lisibilité et leur cohérence graphique. Dans les éditions précédentes, Guillaume Balavoine avait également contribué à certaines planches. Leur rôle dépasse la simple exécution graphique : il s’agit de traduire l’histoire en image, de rendre tangible la complexité du Moyen Âge.
Mille ans de cartes
Ce qui frappe à la lecture de l’Atlas, c’est la manière dont les cartes racontent une histoire qui, sans elles, demeurerait plus abstraite. Chaque planche est une scène, chaque tracé est une démonstration
L’ouvrage s’ouvre sur le Ve siècle, avec la lente désagrégation de l’Empire Romain d’occident et l’installation des royaumes barbares. Les cartes montrent d’abord la fragmentation de ce dernier qui devient un territoire instable où le pouvoir se partage et se déplace. Puis surgit le royaume franc : d’abord hésitant avec Clovis avant de se dilater à la mort de Charlemagne (814). Ici, les cartes ne se contentent pas d’indiquer les frontières. Elles révèlent un espace en expansion, traversé de routes, animé de circulation, structuré par de nouveaux centres.
Viennent ensuite les temps féodaux que les cartes traduisent à merveille. Il ne s’agit pas d’un territoire homogène mais d’un damier de seigneuries, de principautés, de pouvoirs locaux. L’espace apparait ici éclaté, morcelé et l’œil comprend d’un coup ce que des pages de textes peineraient à s’exprimer : l’extrême diversité du royaume, la puissance de l’aristocratie locale et le rôle structurant des châteaux et des abbayes.
Le lecteur avance ensuite vers l’essor des villes et des échanges matérialisés par les routes commerciales, les foires de Champagne, les ports atlantiques et méditerranéens. Les cartes révèlent la France médiévale comme un territoire de flux : hommes et idées circulent et l’on saisit toute l’importance de la mer, des fleuves et des carrefours urbains.
Puis l’ombre des crises s’étend. La peste noire, visualisée par vagues successives, frappe les populations, laissant des zones vides sur les cartes et des régions durablement affaiblies. La guerre de Cent Ans, quant à elle, s’inscrit en superposition de zones d’occupation, de batailles et de lignes de fracture ; Ces cartes donnent un sens concret au mot « désastre ».
Enfin l’ouvrage s’achève sur la lente affirmation d’un pouvoir royal plus centralisé. On voit les zones capétiennes se renforcer et l’emprise du roi se consolider tandis que le territoire gagne en cohésion. Là où le livre s’ouvrait sur la fragmentation, il se ferme sur la promesse d’une unité à venir.
La force des images
La grande réussite de cet atlas tient dans sa capacité à rendre visible ce que les mots peinent parfois à faire saisir. Comment expliquer l’ampleur de la peste noire sans montrer l’avancée du fléau ? Comment comprendre la centralisation monarchique sans voir, carte après carte, se rétrécir les zones de résistance féodale ? Comment mesurer l’importance des réseaux monastiques sans visualiser l’écheveau serré des abbayes qui maillent le territoire ?
Grâce à Fabrice Le Goff et à Guillaume Balavoine, la cartographie atteint ici une véritable dimension intellectuelle : elle raconte les faits historiques.
Un outil pédagogique et scientifique
Ce livre s’adresse à un public large. Il est fait pour les enseignants, les étudiants, les passionnés d’histoire mais les curieux. Grâce à cet atlas, le Moyen Âge sort des clichés des chevaliers et des châteaux forts.
Franck Dupire
Antoine Destemberg & Fabien le Goff & Guillaume Balavoine, Atlas de la France médiévale : Hommes, pouvoirs et espaces du Ve au XVe siècle (3e édition), Autrement, octobre 2025, 96 pages, 24 euros.