Isorni, les procès historiques du prince des avocats

Ce qui séduit d’emblée dans Isorni les procès historiques, c’est la qualité des écritures. Je mets volontairement ce mot au pluriel car elles se situent à plusieurs niveaux. Il y a d’abord celle de l’auteur, Gilles Antonowicz, qui est à la fois claire, précise et efficace. Son style permet au lecteur de s’embarquer dans un agréable confort, en dépit d’un sujet relativement ardu. Viennent ensuite celles des journalistes qui ont couverts certains procès plaidés par Me Jacques Isorni. La puissance de leurs textes s’y révèle redoutable. À cette époque, les reporters avaient encore le goût d’écrire et ne se contentaient pas d’enquiller les phrases pour boucher les trous de leur incurie. Il faut dire que certains de ces observateurs étaient des « plumes » de la trempe Joseph Kessel et Albert Camus ! Enfin, bien entendu, s’y ajoute la puissance de feu d’Isorni qui soupesait chaque mot et savait le placer au bon endroit pour qu’il atteigne sa  cible. Quel talent ! Au point que l’on en vient (presque) à regretter qu’il n’y ait pas plus d’extraits de ses plaidoiries dans ce livre (qui ne fait « que » 200 pages !).  

Mais qui était Jacques Isorni ?  

Il est, à tort, un peu tombé dans l’oubli alors qu’il fut une personnalité marquante des IVème et Vème Républiques. Dire qu’il n’était pas gaulliste serait un doux euphémisme et les piques qu’il portât au général démangèrent celui-ci pendant plusieurs années. Mais, même s’il fut député de droite, Isorni défendait plus la justice que tout autre précepte politique.  

Il reste célèbre pour avoir défendu le maréchal Pétain que l’on disait indéfendable. Et qui, en tout cas, était incapable de se défendre tout seul. Ce procès fit sensation et je peux témoigner qu’un quart de siècle après, on en parlait encore. Pétain, traître à sa patrie ou sauveur de la France ? La question continue de faire débat pour certains. Jacques Isorni se lança dans cette bataille non comme un idéaliste mais comme un avocat se basant sur les faits et sur les lois.   Il fut un ardent défenseur des causes presque perdues. Et ce livre qui raconte avec justesse son parcours, se divise en deux parties principales : les procès dits de la collaboration et les procès liés à la guerre d’Algérie. Des dossiers lourds, sous lesquels Isorni ploya parfois.  

Que l’on soit en accord ou non avec lui importe peu. Car là n’est pas le sujet. Le but du livre est de montrer un homme au travail. Isorni était un acharné. Il traquait le moindre détail et certaines de ses découvertes firent basculer des procès. Il avait besoin de tout savoir sur tout et sur tous, ce qui incluait les juges auxquels il faisait face. Certains n’étaient pas blanc-bleu et auraient pu se trouver sur les bancs des accusés… Ses plaidoiries constituaient l’aboutissement d’une réflexion complexe basée sur des montagnes de lectures et de recherches. Rien n’était laissé au hasard. Si certains ont pu lui reprocher ses effets de manche, il était difficile – voire impossible – de le prendre en défaut. Et, quand il prenait la parole, toute la salle tremblait.  

Sur son long et riche parcours, il commit quelques erreurs — dont une qui lui coûta cher — mais ne renia jamais ses idées et son sens aigu de la justice. Pourtant, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale et à l’entrée de celle d’Algérie, celle-ci connut des virages dangereux. Les lois se bousculèrent dans une pagaille quasi-indescriptible, renversant des concepts en usage, bafouant des libertés évidentes. Isorni, par exemple, s’attaqua aux tribunaux d’exception établis par De Gaulle et mit en évidence leur opacité. La justice, déjà aveugle, en fut souvent étranglée.  

un récit bien pesé

Gilles Antonowicz raconte tout cela sans se perdre dans les détails inutiles. Les procès de Brasillach et de Pétain pourraient occuper des centaines de pages, mais, ici, sont placés sous le regard d’Isorni et gagnent en concision. Le suspense et les rebondissements suffisent à maintenir l’intérêt ; et les passionnés d’Histoire ou de procès y trouvent leur compte.  

Oserai-je dire que c’est un ouvrage indispensable pour tous les avocats présents et à venir ? Bien entendu ! Qu’ils sachent qu’un procès nécessite des dizaines d’heures de travail et que le talent de l’avocat y reste l’atout maître. Et pour le lecteur lambda ? C’est une plongée dans les secrets des couloirs des palais, dans la pénombre des bureaux et dans les plis d’un Histoire si souvent grimée qu’il est difficile de la regarder aujourd’hui sans un certain dégoût.  

Isorni. N’oubliez jamais ce nom.  

Philippe Durant  

Gilles Antonowicz, Isorni les procès historiques, Les Belles Lettres, octobre 2021, 208 pages, 19 eur

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