Une juvénile fureur, l’homme qui assassina Darlan
Une historienne d’exception
On a connu l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon avec sa magistrale biographie de Pétain (Perrin, 2014). Elle avait cependant déjà participé au renouvellement de l’historiographie sur la période en publiant Les Vichysto-résistants (Perrin, 2008) ou Histoire de l’épuration (Larousse, 2011). L’année dernière, sa biographie de Jean Moulin chez Flammarion a proposé un regard neuf sur ce personnage mythique, en revenant beaucoup sur les années d’avant-guerre du préfet. Elle publie cet automne un livre qui revient sur un personnage singulier de la période. Une juvénile fureur est l’histoire de Fernand Bonnier de la Chapelle, l’homme qui assassina Darlan à la Noël 1942.
Un jeune homme issu d’une famille pas ordinaire
Qui était donc ce jeune homme mort fusillé à vingt ans et animé d’une « juvénile fureur » (Charles de Gaulle) ? Bénédicte Vergez-Chaignon propose ici un récit solidement documenté sur le jeune homme et sa famille. On l’a dit monarchiste et aristocrate, bien à tort. La famille du jeune homme, partagée entre France et Italie, est patriote et républicaine. On compte un Bonnier de la Chapelle qui conquiert au prix de sa vie la ville de Tombouctou. Il y a aussi un général qui est écarté de son commandement en 1916 à cause de son mauvais caractère. Le père de Fernand, Eugène, fait aussi son devoir pendant la Grande Guerre, avant d’épouser une belle italienne, Gianna qui lui donnera un fils, Fernand. Comme le couple divorce dans les années 20, Eugène envoie son fils chez son frère qui s’appelle aussi Fernand. Ce dernier est marié avec Catherine Hetzel, héritière de l’éditeur de Jules Verne. Ils sont sans enfants et élèvent le petit Fernand comme leur fils. Parfois, ce dernier croise la nièce de Catherine, Olesia Sienkiewicz, et son époux, un homme charmant : il s’agit de Pierre Drieu La Rochelle.
Un jeune homme en quête d’engagement
Bon élève mais indiscipliné, Fernand rate la deuxième partie de son bac puis c’est la guerre. Il est trop jeune pour s’engager mais rêve d’action. Le 11 novembre 1940, il est de ces jeunes qui manifestent à Paris pour commémorer la victoire de 1918 malgré l’interdiction nazie. Son oncle décide de l’éloigner de la zone occupée et l’envoie à Alger chez son père, remarié. Fernand rêve de s’engager contre l’armée et végète dans un chantier de la jeunesse près de Blida. Puis il rencontre l’abbé Cordier à l’automne 1942. Cordier, après le débarquement américain, déteste Darlan, ancien ministre de Pétain qui mena loin la collaboration avec l’Allemagne et qui vient de se rallier à Washington par pur opportunisme. Comme l’amiral n’abandonne pas le pouvoir, certains, dont Henri d’Astier, veulent l’éliminer, peut-être pour le compte du comte de Paris, qui se voit déjà roi en Algérie.
Bonnier de la Chapelle va être leur arme ! Ils vont le bercer de belles paroles, lui faire croire qu’après l’assassinat il sera gracié. C’est faux. Le général Bergeret, adjoint de Darlan et vichyste notoire, fera condamner à mort le jeune homme.
Voici le récit d’une vie trop tôt interrompue, victime d’un complot qui le dépassait et qui ne voulait que libérer son pays. Au passage, Bénédicte Vergez-Chaignon livre un portrait au vitriol du comte de Paris dont l’intelligence politique était vraisemblablement proche du néant.
Voici un excellent livre.
Sylvain Bonnet
Bénédicte Vergez-Chaignon, Une juvénile fureur, Perrin, septembre 2019, 464 pages, 24 eur