Body Snatchers, ils sont parmi nous

Un auteur discret

Jack Finney est peu connu du grand public. Il a pourtant à la fois écrit du polar et de la science-fiction, très courant à l’époque (songeons à Richard Matheson), et reçu le grand prix de l’imaginaire en 1994 pour Le voyage de Simon Morley (réédité en 2015 par Denoël). C’est par le détour d’un film, Body Snatchers – L’invasion des profanateurs de sépulture, qu’il est aujourd’hui le plus étudié. Et on devrait plutôt parler de trois films car Don Siegel, Philip Kaufman et Abel Ferrara ont donné chacun leur version. Le Bélial nous fournit l’occasion de revenir à la source, c’est-à-dire le roman, avec une traduction révisée.

Un subtil remplacement

« Je préfère vous avertir tout de suite : le récit que vous commencez à lire regorge d’incohérences et de questions sans réponses. Il s’achèvera sans beaucoup de précision ; tout n’y sera pas résolu, ni expliqué avec logique. Du moins pas par moi. Je ne peux même pas affirmer que je sache exactement ce qui s’est passé, ni pourquoi, ni comment ça a commencé, comment ça a pris fin, ou seulement si ça s’est terminé ; pourtant j’ai été aux premières loges. »

Nous voici à Mill Valley, au nord de la Californie, au milieu des années 70. Le docteur Miles Bennell est le médecin du coin, récemment divorcé. Il connaît tout le monde bien sûr et se satisfait de sa vie. Voilà que Becky, un flirt de jeunesse pour qui il a encore le béguin, vient le voir. Une de ses amies, Wilma, est persuadée que son oncle n’est pas son oncle. Miles le voit et ne lui trouve rien d’anormal. Le lendemain, Miles voit arriver des patients qui lui disent tous la même chose : un père, un professeur, un ami qui n’est plus tout à le même. C’est imperceptible mais c’est là : psychose collective ?

Le soir, Miles est avec Becky au cinéma quand son ami Jack l’appelle. Ils le rejoignent et Jack leur montre sa découverte : un corps humain adulte, sans lésions, lisse et sans empreintes digitales. Miles et ses amis découvrent bientôt des cosses où poussent des êtres humains : les habitants de Mill Valley ne sont plus les mêmes !

Un classique qui tient le coup

Disons-le tout de suite : c’est un chef d’œuvre du genre. Finney réussit en deux cent vingt pages à proposer un récit ancré dans le quotidien et qui dérape peu à peu vers le fantastique. Avec ces « cosses » (pods en anglais), on n’est pas loin de Lovecraft : ce sont des créatures végétales qui dérivent dans l’espace, cherchant une vie à imiter. Pas de logique, pas de destin, c’est ainsi. Les humains dupliqués nous ressemblent au fond beaucoup trop : ils imitent, ils consomment, ils sont sans identité ou aspérité, pas d’émotion : ils semblent sortis d’une utopie totalitaire, ce qui a plu à Siegel et Kaufman. La postface de Sam Azulys est tout à fait intéressante. Tout cela respire une belle et franche paranoïa : lisez Body Snatchers et frissonnez.

Sylvain Bonnet

Jack Finney, Body Snatchers, traduit de l’anglais par Michel Lebrun et révision par Erwan Perchoc, illustration de couverture d’Aurélien Police, postface de Sam Azulys, Le bélial, juin 2022, 272 pages, 20,90 €

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