La France hors la France, la naissance de la civilisation française

On connaît peu Thierry Dutour, maître de conférences en Histoire à Sorbonne université et auteur de La Ville médiévale, origines et triomphe de l’Europe Urbaine (Odile Jacob, 2003) et de Sous l’empire du bien, « Bonnes gens » et pacte social (XIIIe – XVe siècles) (Classiques Garnier, 2015). Il a publié cet hiver un essai, La France avant la France, où il nous donne une vision de l’identité et de la nation plutôt décapante.

Les Français hors de France

Un des fondements de l’historiographie française est de faire de l’État monarchique le forgeron de la nation française. Renan, par exemple, fut un de ceux qui portèrent cette idée au pinacle. Avec Thierry Dutour, on change de paradigme. Et il part de la langue. Cette langue française est, au Moyen-âge, loin d’être l’apanage d’un Royaume de France encore embryonnaire et de toute façon plurilingue. On parle français en Terre Sainte, à Naples, à Chypre, là où des nobles et des chevaliers se sont bâtis des principautés et des royaumes. On le parle en Angleterre, royaume conquis par Guillaume le conquérant et gouverné par les Plantagenets et c’est outre-manche qu’a été écrit le plus ancien manuscrit de la chanson de Roland. En fait, la culture et la langue française ne dépendent pas alors de la soumission à un pouvoir étatique.

Une Angleterre française ?

Cela n’a rien de nouveau, la langue anglaise comprenant un important vocabulaire (environ 30%) issu du Français. L’ouvrage de Dutour permet cependant de prendre conscience de la diglossie outre-manche. On plaide en Français, on écrit le droit en français, on écrit des poèmes en français, bien avant que le bon royaume de France ne s’y mette. L’expédition de Louis VIII n’en prend que plus de sens : réunir les deux royaumes sous un même sceptre témoignait d’une communauté culturelle réelle au niveau des élites, projet au fond repris par le traité de Troyes de 1420. On parle ici d’un français à l’orthographe bien différente de la langue qui sera standardisé par l’administration royale. Mais quelle vie ! Et donc avant l’État, il y avait des Français et surtout le français, notre patrie commune pour paraphraser Camus.

Excellent ouvrage.

Sylvain Bonnet

Thierry Dutour, La France avant la France, l’identité avant la nation, Vendémiaire, février 2022, 372 pages, 24 €

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