Lucien Bonaparte, le frère rebelle de Napoléon
De Science Po aux Bonaparte
Jusqu’ici, Cédric Lewandowski s’est surtout fait remarquer par son parcours de haut-fonctionnaire, entre des postes en cabinets et d’autres chez EDF. C’est semble-t-il pendant la période où il a officié comme directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian qu’il s’est intéressé à la figure de Lucien Bonaparte, peut-être parce que ce dernier fut un des premiers occupants de l’hôtel de Brienne. En tout cas il vient de publier une biographie du prince de Canino, Lucien Bonaparte, Le prime républicain, dont la descendance fut exclue par Napoléon de la succession impériale. Qu’avait donc fait Lucien de si terrible ?
Un engagement révolutionnaire sincère
Six années séparent Lucien de Napoléon. De fait ils se voient peu durant leur enfance, Napoléon ayant grandi essentiellement avec Joseph. Lucien va aussi à Brienne mais il ne sera pas militaire ou ecclésiastique. La Révolution va faire de lui un jacobin. Il se fera ainsi surnommer « Brutus » Bonaparte.
Marié très jeune, peu fidèle, Lucien profite de l’ascension de son frère mais sait aussi, comme le démontre Cédric Lewandowski, faire preuve de ses propres talents. Très bon orateur, c’est un politique né, fait, après un apprentissage auprès de Barras, pour les manœuvres parlementaires. Il se montre républicain et critique du directoire. Aucune envie chez lui a priori de restaurer une monarchie même « impériale »…
Un rôle décisif le 19 Brumaire
On ne dira jamais assez combien ce génie que fut Napoléon perdit son sang-froid face à l’assemblée des cinq-cents. Il tente un discours confus, se fait insulter, traiter de factieux et sort entouré de soldats tandis que des représentants cherchent à le déclarer hors-la-loi. Récemment élu président, Lucien voit le drame et réussit à renverser la situation auprès des soldats et grenadiers qu’il harangue efficacement. Puis le soir, il arrache le vote nécessaire pour donner un coup d’état sa légitimité officielle. Sans Lucien, les choses auraient été plus compliquées. Pour le récompenser, son frère le nomme donc ministre de l’intérieur. A-t-il pour autant confiance en lui ?
Une appréciation trop favorable
Il est évident que dans la fratrie Bonaparte, Lucien a beaucoup de talents. Joseph est un diplomate lymphatique, Jérôme un noceur et Louis est neurasthénique. Lucien est intelligent, séduisant, sait parler. Mais il se fait des ennemis : Fouché, Talleyrand (ça pèse lourd). Cédric Lewandowski vante son républicanisme mais que penser de son ouvrage où il compare son frère à César, Cromwell ou Monck ? Il vient trop tôt mais déjà semble pencher vers le consulat à vie, pavant ainsi la voie vers la monarchie : drôle de républicain !
Ambassadeur en Espagne, Lucien s’enrichit beaucoup lors des négociations diplomatiques. Mais il revient vite à Paris, (trop) pressé de jouer un rôle politique. Nommé au Tribunat, puis sénateur, Lucien peut prétendre à une place élevée. Mais voilà il tombe amoureux et, veuf, se remarie avec Alexandrine de Bleschamp. Désireux de marier ses frères avec des princesses en Europe pour valoriser sa famille, Napoléon refuse ce mariage. Lucien tombe peu à peu en disgrâce et est contraint de partir à Rome auprès du pape. Il refusera le divorce et se verra donc écarté de la famille impériale, malgré sa mère (qui l’adore) et sa sœur Elisa.
Dans ses mémoires, Lucien Bonaparte met en avant son républicanisme et son refus de l’hérédité en plus de son mariage pour justifier sa rupture avec son frère. Mais on est alors dans le plaidoyer pro domo et a posteriori qu’il convient de prendre avec des pincettes. Ne sommes-nous pas ici en présence surtout d’un problème d’ego ? Napoléon pouvait-il transiger avec ce frère à qui il devait sans doute trop ?
Pour conclure
Il ne s’agit pas de dénigrer le travail de Cédric Lewandowski, souvent remarquable. Il convient cependant de noter que les convictions de Lucien devaient se conjuguer avec l’ambition — légitime —, la loyauté envers le clan — ne jamais oublier que les Bonaparte sont des corses —, la politique et l’ego. C’est peut-être surtout l’ego de Napoléon qui pose souci car il savait ce qu’il lui devait en Brumaire et ne lui pardonnait pas. En 1815, les deux frères se sont retrouvés lors de cette équipée sans espoir que furent les Cent-Jours. Son frère déporté à Sainte-Hélène, Lucien repartit vers Canino où il coula des jours heureux auprès de son épouse et de leurs dix enfants, sans jamais cesser de surveiller ce qui se passait en France.
Cette biographie est en tout cas une occasion rare de redécouvrir un personnage qui sut se faire un prénom face à ce frère hors normes.
Sylvain Bonnet
Cédric Lewandowski, Lucien Bonaparte, préface de Louis-Napoléon Bonaparte-Wyse, Passés composés, octobre 2019, 460 pages, 24 eur