Matière noire, le polar urbain d’Ivan Zinberg

Un policier de la BAC et un journaliste d’investigation. Voilà le duo qui compose Matière noire d’Ivan Zinberg. Ce roman est une traque aux démons, ceux qui pousse un homme à tuer et violer de jeunes femmes seules, et ceux qui hantent les cités. Car c’est aussi bien une enquête qu’une plongée très noire dans la criminalité du quotidien, de nos rues, et des dangers de chaque instant.

Deux lignes parallèles se croisent à l’infini

D’un côté, Karim « Bek » Bekkouche, responsable de la BAC de Saint-Etienne. Une jeunesse de petit délinquant de cité, une prise de conscience, un parcours fait d’épreuves et une vie privée chaotique. Quand une ancienne amie débarque pour lui exposer ses craintes après la disparition de sa fille, il s’engage hors de tout protocole et mène l’enquête. Elle le conduira de dealers en proxénètes, de petites frappes en réseaux du grand banditisme. Et tout cela dans Saint-Etienne et sa périphérie, gangrénée, infestée. Pourrie.

De l’autre, Jacques Canovas, journaliste à Crimes Hebdo, journal dédié aux faits-divers dont on reconnaîtra sans peine l’inspiration. Retraité des RG, il est mis sur la piste d’une disparition mystérieuse, une joggeuse vers Chambery. Ces enquêtes le divertissent de sa vie, de son veuvage, de son quotidien. Il est consciencieux et précis, fait honneur à sa profession et s’investit avec grand soin. C’est un personnage un peu triste, qui n’existe que pour ses articles hebdomadaires. Mais il a en lui une force incroyable, et une manière de mission qui le pousse à dépasser le stricte cadre des titres à scandale dont son patron a le secret !

Leurs enquêtes respectives vont les conduire sur des pistes croisées, et la rencontre entre eux deux, que le lecteur attend depuis la première page, va créer un couple d’enquêteur très attachant. Même si elle arrive tardivement dans le récit, elle est très vite une nécessité, une évidence.

Aux mains des démons

Les chapitres alternent de l’un à l’autre. Et quand l’intrigue force à leur rapprochement, une troisième voix apparaît : celle du tueur qui donne sa version des faits. Cette construction est parfaite, car si le lecteur sait qu’il va y avoir un impact brutal, il va quand même être surpris par le choc, le souffle. 

On se tromperait à croire que Beck et Canovas sont différents. Deux hommes que la vie a promené, qui changent de vie, qui ont une la femme de leur vie disparue, etc. Beck fils de la cité y revient en flic. Canovas ancien flic devenu journaliste. C’est leur passé similaire qui va les faire se rapprocher, et ils font penser à un autre couple, Karim Abdouf et Pierre Niémeans dans Les Rivières pourpres de Grangé. Mais avec une fragilité en plus, qui leur donne une « réalité » supérieure. Ce sont tous les deux des hommes de conviction et d’honneur, qui luttent contre la même noirceur du monde, et qui assument d’avance les risques qu’ils prennent pour aller au bout de leurs enquêtes, sans se trahir.

La force de Matière noire, c’est la qualité d’une narration qui est au plus près du réel. La crédibilité du propos, des actions, des éléments du décor ou de l’action est telle que le lecteur se retrouve comme dans un reportage, immergé au coeur même de la matière noire, qui est aussi bien celle des esprits dérangés que celle, fécale, dans laquelle on patauge. C’est très glauque et une parfaite réussite !

Loïc Di Stefano

Ivan Zinber, Matière noire, Cosmopolis, novembre 2019, 462 pages, 19,95 eur

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