Chantal Delsol, la fin de la chrétienté ou l’achèvement d’un destin antimoderne

Il ne fait plus mystère à personne que nous vivons une fin d’époque ou une époque des fins. Fin de la civilisation occidentale. Fin de la culture. Fin de la politique. Fin de siècle. Et plus alarmant, fin de la chrétienté. Cette crise de sens que nous traversons alors, selon les mots du philosophe Jean-François Mattéi, prend racine dans la Révolution française. Dans un brillant petit essai intitulé La Fin de la Chrétienté, L’inversion normative et le nouvel âge (Cerf, 2021), la philosophe Chantal Delsol revient sur seize siècles de Chrétienté qui s’achèvent aujourd’hui, faisant place à un monde encore inconnu, et non nommé. Cette nouvelle ère, inspirée par une inversion normative et ontologique, est sûrement difficilement acceptée par les défenseurs de l’âge de la Chrétienté, et ce déclin doit être analysé. C’est ce qui est fait dans ce texte très instructif.

La fin de la chrétienté ou la fin des fins

L’essai de la philosophe Chantal Delsol est une magnifique mise au point, comme un constat et un état des lieux édifiants. Pour certains, cela ressemblera plutôt à un pamphlet pessimiste, pour d’autres à une déploration lucide de la fin d’une civilisation. Loin des polémiques autour du « grand remplacement », auquel Chantal Delsol ne croit pas, c’est surtout une réflexion sur les transformations majeures d’une « civilisation vieille de seize siècles ».

Si nous n’assistons pas à la fin du christianisme, nous faisons toutefois face à la fin de son incarnation temporelle, ayant pris racine, nous dit l’auteur dans la Révolution française, et qui « n’a pu s’accomplir, écrit encore la philosophe, qu’en opposition avec le christianisme, qui était depuis l’origine et jusque récemment, […] l’ennemi de la modernité ».

Nul ne sait exactement donc, où prend naissance cette fin de la chrétienté. On peut toutefois la dater à l’apparition de la modernité, alors même qu’elle a tenté de s’adapter aux idées modernes, mais toujours par « accommodements » et avec quelques « senteurs de trahisons », tant « le destin du christianisme l’incline irrémédiablement à haïr la modernité qui récuse ses principes premiers : la vérité, la hiérarchie, l’autorité et la contrainte », nous dit Chantal Delsol.

Ce serait donc ce destin antimoderne qui aurait pris fin, soit dans la Révolution française, soit « avec les adeptes de l’IVG », comme l’écrit encore la philosophe.

Car il s’agit bien là d’une civilisation, autrement dit : une certaine manière de vivre ; une vision des limites du bien et du mal. 

Voilà pour le constat.

Mais alors, peut-on désormais parler de la fin de certaines normes, ou dont-on pointer du doigt l’inversion des normes chrétiennes par les normes de la postmodernité, comme jadis, le christianisme avait lui-même subvertie les normes en place à sa propre apparition ?

L’inversion ontologique

Dans ce tragique moment d’effondrement, la subversion des valeurs, en ce qui concerne les « comportements humains » ou les « actes sociaux », vient inverser les grandes notions de Bien et de mal, au point que « l’ancienne conduite honnie soit à présent louée, (et) que l’ancienne admiration se mue en récusation ».

Loin de vouloir pleurer les valeurs anciennes aujourd’hui remises en cause, Chantal Delsol prétend revisiter le destin d’un élan moderne et révolutionnaire, qui visait moins le « bien-être de l’individu sans vision anthropologique » tel c’est le cas aujourd’hui, afin de repenser le choix moral comme un choix ontologique.

Et c’est précisément de cette inversion ontologique dont il est question dans cet essai. Comment doit-on penser aujourd’hui, Dieu, le Bien, la morale, la personne ? « Ce qui fonde une civilisation, nous alerte cependant Chantal Delsol, ce n’est pas la vérité – car toutes y prétendent –, c’est la croyance en une vérité. »

Cette crise spirituelle dont nous faisons l’objet depuis quelques décennies, n’est-elle pas littéralement, puisque l’étymologie du mot « crise » en grec, « crisis », signifie nécessité de discerner et de faire un choix, le moment ultime de faire un état des lieux, en sondant « l’esprit des lieux » ? C’est du moins ce que Chantal Delsol se propose de réaliser dans cet ouvrage éclairant, prudente, puisqu’elle nous prévient qu’il ne s’agit pas de « produire » des sociétés où « l’Évangile gouverne des États », mais plutôt, selon le bon mot de Saint-Exupéry, de « marcher tout doucement vers une fontaine ».

Voilà qui est bien, et qui tranche radicalement avec les discours décadentistes de ce début de siècle.

Marc Alpozzo

Chantal Delsol, La Fin de la chrétienté, Le Cerf, octobre 2021, 171 pages, 16 euros

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