« Chien-Loup » de Serge Joncour, la part de l’animal

Prenez un couple de parfaits urbains occidentaux, au sommet de la chaine alimentaire (un cinéaste, une actrice) et plongez-les dans un univers totalement étranger (une petite maison de pierre, au sommet d’une forêt loin de tout, au fin fond du Lot), coupez-leur les liens avec la civilisation (pas une once de réseau téléphonique) et observez la part de l’animalité qui reprend petit à petit ses droits. C’est le point d’entrée dans le très beau roman de Serge Joncour, Chien-loup, sans doute l’un des tout meilleurs de cette rentrée littéraire.

La forêt du Mont d’Orcières, « au coeur du triangle noir du Quercy », est vivante, des animaux qui la peuplent, et notamment cette bête légendaire, quasi gévaudan, un chien-loup oublié par la mort et ancré dans la légende locale. La légende nait-elle avec l’arrivée d’un dompteur allemand, installé dans cette même petite maison il y a une centaine d’année, et dont les fauves effrayaient les villageois lotis un peu en contrebas ? Comment les deux histoires vont-elles se percuter ? Les mannes du dresseur survivent-elles dans gite de pierre ? Ou bien est-ce le lieu lui-même qui focalise la violence et la sauvagerie alentour ? Les deux époques, 1914-1915 et 2017, se répercutent dans l’universalité qu’elle traduit : la bête est toujours tapie au fond de l’âme humaine.

 

 La médisance, c’est ce renard toujours là à roder autour des maisons, toujours à traîner du côté des hommes, sûr de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. »

 

Le couple est venu dans cet isolement parfait pour se retrouver, reformer l’unité essentielle de leur amour. Pourtant le climat va être de plus en plus pesant, au fur et à mesure que les deux histoires se tissent et que Serge Joncour s’en serve pour peindre la douloureuse allégorie de notre temps. Car entre le chien qu’ils vont recueillir et les loups qui rôdent, quelle est vraiment la différence ? Entre les monstres d’aujourd’hui et ceux d’hier ?

 

Les loups chassent à la course. Ils fondent sur les troupeaux qui avancent au ralenti, souvent ils attendent le brouillard et se lancent depuis les coteaux sur les bêtes affolées et les pourchassent ou les précipitent dans le vide, quarante-deux dents aiguisées qui s’échauffent dans la gueule haletante, quarante-deux lames prêtes à arracher des gorges pour les faire saigner. »

 

A l’amour civilisé qui tente de se réparer s’oppose l’amour bestial et fusionnel du dompteur allemand et de la jeune villageoise venue d’abord en curieuse, puis totalement abandonnée. Cette bestialité est présentée comme plus sincère, plus naturelle, que l’amour civilisé, le cinéaste en ne cessant de chercher à fuir vers la civilisation (par d’incessantes petites visites à la ville voisine, à la recherche du moindre petit bout de réseau…) alors que sa femme se plaît dans le gite. Comme si le lieu pouvait réunir les animaux et séparer les urbains…

Le récit de Serge Joncour est parfaitement maîtrisé, il emporte le lecteur qui terminera ce Chien-Loup à bout de souffle, mais heureux d’avoir été secoué par autant de violence et de beauté.

 

 

Loïc Di Stefano

 

Serge Joncour, Chien-loup, Flammarion, août 2018,

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