Pascoa et ses deux maris, la parole à une invisible de l’Histoire

On connaît peu ici l’historienne Charlotte de Castelnau-L’Estoile mais son Pascoa et ses deux maris, consacré au procès d’une ancienne esclave pour bigamie à Lisbonne a connu un certain succès : prix lycéen du livre d’histoire des rendez-vous de Blois en 2020, prix du Sénat du livre d’histoire la même année. Après une première édition parue aux PUF en 2019, voici la version poche chez Flammarion.

Un procès hors normes ?

On connaît mieux l’histoire de l’inquisition par rapport à sa lutte contre les hérésies ou, cas particulier de la péninsule ibérique, contre les juifs et les marranes. L’institution semble ici s’être concentrée sur la bigamie de l’ex esclave Pascoa et a déployé une enquête entre deux continents, entre Brésil et Angola. Charlotte de Castelnau-l’Estoile a retrouvé le dossier, constitué de témoignages recueillis consciencieusement par les inquisiteurs. Pourquoi un tel acharnement ?

De multiples enjeux

D’abord il s’agit ici pour l’église de renforcer son contrôle sur les populations des colonies portugaises. En lisant cet ouvrage, le lecteur prend conscience que la question de la conversion des esclaves était extrêmement sérieuse pour l’église. Ensuite, il y a la question du mariage : la première union de Pascoa, après enquête, bien réelle, ne fut pas célébrée selon les stipulations du concile de Trente : le missionnaire, italien et capucin, avait voulu aller vite et s’était contenté d’un échange d’anneaux. Mais les attendus du jugement n’en contestent pas pour autant la validité. L’inquisition cherche ici à empêcher la polygamie (ou polyandrie) et assurer le contrôle du corps des esclaves chrétiens.

Une femme qui intrigue

Le personnage de Pascoa interpelle. Voici une esclave, africaine, vraisemblablement élevé et détenu par une famille mulâtre en Angola, qui parle portugais et connaît bien la religion chrétienne si on suit ses réponses. Voici une femme qui a connu plusieurs vies, deux unions, a eu des enfants mais qui surtout se défend. La société esclavagiste laissait ainsi des marges aux esclaves qu’on a peu analysé. C’est aussi la voix d’une invisible de l’histoire que nous restitue Charlotte de Castelnau-L’Estoile. À ce titre, c’est un ouvrage précieux.

Sylvain Bonnet

Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Pascoa et ses deux maris, Flammarion, mai 2023, 304 pages, 11 euros

Laisser un commentaire