« Les feux » le puissant roman de Shôhei Ooka


L’écrivain japonais Shôhei Ooka a écrit Les Feux au retour de la guerre en 1945, et la présente édition est donc une réédition, dans une traduction française qui date de 1995. Pourquoi une réédition ? Parce que cet ouvrage terrible, récompensé de prix et adapté au cinéma, n’en finit pas d’être lu dans le monde entier. 

Les Feux raconte la triste fin de l’armée japonaise battue par l’aviation américaine dans les Philippines ; et particulièrement, celle d’un groupe de soldats en pleine débâcle, dans une jungle hostile. Ils sont livrés à la faim, aux bombes, à la mort, et pour les plus chanceux, au cannibalisme. Le style de l’auteur, d’une froideur glaciale, épouse le pathétique de la situation, et le cauchemar des hommes. Au delà, il impose une condamnation sans appel de la guerre. 

L’épopée du soldat Tamura, guerrier malgré lui, donc meurtrier malgré lui, pourrait être celle de beaucoup d’hommes. La notion même d’ami ou d’ennemi disparait au profit  d’un enfer inexprimable, sous le feu des rafales, au milieu des cadavres. Nul doute que l’auteur a connu cet enfer, dont il est revenu heureusement en meilleur état que son héros. 

Car le livre se termine dans un délire de folie, parmi les images hallucinées que le soldat Tamura voit. Ou croit voir. Et les dernières pages interrogent la véracité des souvenirs, et l’imprécision d’une mémoire, qui autorise peut-être une forme de rédemption. On ne peut pas non plus refuser une forme de beauté à certaines pages, à travers les descriptions d’une nature sauvage et colorée, même sur fond de massacre. 

Certes, ni l’auteur ni son héros ne sont sortis indemnes de la déroute japonaise dans les Philippines, mais le lecteur non plus, toutes proportions gardées. Shohei Ooka, intellectuel francophile, traducteur de Stendhal, mort en 1988, signe ici un rude bouquin, qui constitue, sur la guerre, et sur toutes les guerres, un livre de référence. 

Didier Ters

Shôhei Ooka, Les Feux, traduit du Japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Autrement, février 2109, 260 pages, 19 eur

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