Casus belli, une classification des conflits collectifs

La géopolitique, pour analyser les guerres et ses évolutions, se fonde encore sur la définition de Clausewitz, à savoir, quand la politique a échoué, contraindre par la violence l’ennemi à accomplir sa volonté. S’y associe l’idée que la guerre a pour but la conquête territoriale et l’appropriation de ressources. Le retour de la guerre en Europe conduit à des questions anthropologiques dont celle qui taraude le plus : la guerre est-elle consubstantielle à toute société humaine ?

Le dernier ouvrage de Christophe Darmangeat, anthropologue spécialisé dans les sociétés de chasseurs –cueilleurs et la question de la violence, y répond au terme de son analyse.

L’objet principal de son livre est de classifier les conflits dans les sociétés non étatiques et de proposer une définition de la guerre en l’opposant à d’autres formes de conflits collectifs violents.

Une nouvelle grille d’analyse

Au lieu de classer les conflits en fonction de la forme commune des collectifs impliqués (espèces animales/ humaines, sociétés nomades/ sédentaires, étatiques/ non étatiques), il propose en quelque sorte de rebattre les cartes pour proposer de nouveaux critères. Ces critères sont, d’une part, formels :  confrontations résolutives/non résolutives, discrétionnaires (attaques unilatérales) /conventionnaires ; et d’autre part établis en fonction des finalités : vengeance, sanction, deuil, acquisition, prédation, compétitions …

Cette grille d’analyse permet de rapprocher des confrontations situées à des époques ou des lieux très éloignés, et d’intégrer des références à la culture européenne comme les Jeux dans la Grèce antique, le tournoi médiéval, l’Italie de la Renaissance, le Palio siennois, le duel, les razzias…  

 « Chaque système de catégories doit être manipulé en gardant constamment à l’esprit les limites de sa validité. Mais au nom de ces inévitables limites, abandonner l’idée même de toute classification, c’est se condamner par avance à errer dans le flou le plus absolu, et à ne pouvoir raisonner ni comprendre. »

Du « feud » au duel en passant par la chasse aux têtes

Comme il se doit, les références nous conduisent principalement à travers le globe ; en Amazonie, chez les Indiens d’Amérique du nord ; en Alaska, chez les Inuits ; en Nouvelle-Guinée, Océanie, Afrique. Des cartes en fin d’ouvrage permettent de se retrouver dans ce foisonnement de cas. Le lecteur européen attend des éclairages – qu’il aura – quant aux fonctions du cannibalisme des Tupinamba, du sacrifice humain chez les Aztèques, ou de la chasse aux têtes chez les Jivaros.

Ces comparaisons visent à opposer la guerre à la razzia, à la chasse aux têtes et au « feud » ou « faide » médiéval, forme de conflit débattu par les anthropologues et qui selon l’auteur est « un état d’hostilité caractérisé par une série de représailles mutuelles visant à solder des comptes ». Plus encore, c’est « un état d’équilibre constitué d’alternances de déséquilibres ».

Les conclusions bousculent parfois des idées ancrées mais démentent avant tout celle que la guerre n’aurait pas existé dans les sociétés nomades et préhistoriques et, ensuite, que l’acquisition de richesses et de territoires ait de tout temps été un des buts principaux de guerre.

« En d’autres termes, il est fort probable que, dans un certain nombre de cas, ce qu’un œil occidental a considéré comme des conflits au sujet des ressources foncières ait relevé, au moins en partie, de tout autres considérations ».

Une lecture stimulante

Dans cette entreprise de redéfinition, le lecteur peut se demander en quoi ces distinctions aident à penser le présent. En effet le propos n’est pas d’analyser le fait guerrier actuel en pleine évolution et hybridation.

En revenant aux formes originelles de la violence collective, l’ouvrage met en lumière les motifs des conflits dans les sociétés non–étatiques.  Le constat est qu’actuellement, la guerre prédomine, avec comme constante, une violence qui doit trouver un exutoire.

Même si on peut reprocher parfois à la méthode de courir le risque de ce qu’elle prétend éviter, c’est-à-dire de comparer des faits d’apparences semblables, mais relevant de finalités et fondements différents, on sort stimulé de cette lecture. On pourra retrouver dans les formes actuelles de conflits mortels nombre d’enjeux et finalités décrites dans le livre et qui souvent, loin de s’exclure, s’additionnent ou s’intriquent.

Florence Ouvrard

Christophe Darmangeat, Casus belli, la guerre avant l’Etat, La Découverte, août 2025, 384 pages, 23 euros

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