La République des imposteurs, une période sinistre

Un historien percutant

Éric Branca a signé au fil des années des ouvrages iconoclastes sur l’histoire de la France contemporaine : citons L’ami américain (Perrin, 2017) où il décortiquait la politique étrangère états-unienne antifrançaise (à la notable exception de Nixon), de Gaulle et les Grands (Perrin, 2020) ou plus récemment L’Aigle et le Léopard (Perrin, 2023), livre incisif où il mettait en exergue la longue connivence entre une partie des élites anglaises et l’Allemagne nazie. Avec La République des imposteurs, il livre au grand public une chronique au vitriol des années de l’après-guerre et du régime de la IVe République.

Du travestissement

Avec beaucoup de brio, Éric Branca met au jour la manière dont certains collabos ou sympathisants du régime de Vichy ont réussi à passer les travers les gouttes de l’épuration. Il raconte les itinéraires très singuliers de Jacques Tacnet, ancien complice des nazis qui réussit à se faire élire député en 1951, ou de Lecoz, alias Georges Dubosq, ancien collabo qui monte un maquis en 1944 qui se contente… de rançonner les alentours, combattant mollement les allemands. Lecoz sera démasqué. Les anciens vichystes continuent leurs carrières dans l’après-guerre, comme André Boutemy, éminence grise du CNPF qui arrose généralement les partis politiques, à l’exception des gaullistes et des communistes. Ces derniers, aux ordres de Moscou, jouent leur propre partition. Seul de Gaulle réussit à éviter le risque d’une insurrection, sans d’ailleurs en être remercié par la droite…

Des élites sous influence

Le portrait que donne de la IVe République Éric Branca est assez accablant. De Gaulle parti en janvier 1946, la classe politique est atlantiste, soit de raison, soit par passion. C’est une époque où les États-Unis financent la scission de la CGT qui donne naissance à FO, marquée par des grèves quasi-insurrectionnelles face auxquelles le gouvernement avoue son impuissance. L’influence informelle d’un Jean Monnet est assez fascinante : l’homme, malgré l’échec de la CED, place ses pions grâce au protecteur américain. Tous les coups sont permis, y compris la loi électorale des apparentements à la veille des élections de 1951, véritable crime démocratique (il y en a eu d’autres depuis) …

Ce très bon livre se termine en 1954 quand commence la guerre d’Algérie, fatale au régime. Branca dresse tout au long de sa démonstration un parallèle instructif (mais avec des limites) avec la période du Directoire sous la Révolution Française : cela pousse à réfléchir, surtout dans la période actuelle.

Sylvain Bonnet

Éric Branca, La République des imposteurs, Perrin, mars 2024, 320 pages, 21 euros

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