« Conversion » de Romaric Sangars, témoigner d’une aventure intérieure
Récit d’une initiation contemporaine, selon la 4e de couverture, ou confession d’un enfant d’un siècle qui a cessé de croire à la puissance de la culture, faute sans doute d’en avoir été nourri. Ce n’est ni à Homère ni à Virgile ni même à Shakespeare, Dante … que son âme blessée d’errer dans un monde désâmé, déculturé, avili de mille manières, sous les coups répétés de la publicité, du calcul égoïste et de la science sans conscience, s’en vient en pénitente demander réparation, surcroît de vie, mais à l’Eglise apostolique et romaine !
Perdu dans un monde désaxé, après avoir longtemps vagué, divagué dans le milieu du metal à la recherche de transes, avoir beaucoup fréquenté les décadents – formidable collection « Fin de siècle » d’Hubert Juin – Artaud et les Surréalistes, les tenants des rêves et les explorateurs d’infinis, notre nouveau « jeune homme » aspire à l’ordre, à la paix, « au luxe, au calme et à la volupté », qui aura trouvé ces athéologales, à leur place, marquée pour l’éternité, loin des tentations de Bacchus et de ses Ménades : au pied de la Croix. Beau Brummel à l’église Saint Sulpice, Des Esseintes abandonnant Pétrone pour Marie Noël, Romaric Sangars transverbère le désir de littérature à la transparence des vitraux, sans oser encore déposer son soulier au pied de la Madone. Au flamboiement de la poésie, il a préféré ici l’effort de l’analyse et Estelle, la jeune fille au nom d’astre, n’est devenue ni Astrée ni l’Ysé du Partage de Midi, seulement le premier degré de l’échelle de Jacob, la première étape du chemin de croix, la première branche de l’étoile de la Rédemption.
Intéressant parcours que ce jeu de piste rohmérien d’une jeune âme à la recherche du Rayon vert. Somptueux empire des signes où la seule sémiotique en actes est celle du Verbe fait chair, où les hasards objectifs de l’onomastique, du quotidien et des rencontres se font signes, appels et enfin vocation religieuse et poétique à mille lieues de l’habituelle daube du jour que j’ai nommé ailleurs, littérature Canada dry ou littérature selfie, puisqu’il ne s’agit ici, en une langue impeccable, précise autant que soignée, somptueuse en un mot, que de témoigner d’une aventure intérieure.
Pas d’imposture. Un peu de pose parfois peut-être.
Sangars, à l’instar de Montherlant, est « un écrivain à allure », et le pacte autobiographique a ses lois que la rigueur de l’examen de conscience piétiste ignore. Aussi, en dépit de mon vif plaisir, j’ai un peu regretté que Romaric S. (dans Romaric on lit Roma qui signifie amor) ne commençât pas son bel ouvrage à la page 100 où il réécrit merveilleusement le fameux « Ce fut comme une apparition » de l’Education sentimentale et la rencontre de Mademoiselle de Galais, épaules couvertes de son manteau bleu marial, dans Le Grand Meaulnes, et fait de la jeune fille Estelle, l’étoile de la Conversion. J’aurais aimé qu’à partir de ce point fixe, cette étoile du berger, il dirige son lecteur et transfigure dans une fiction vraie Grenoble et Paris, la ville de la rencontre augurale et la Babylone de la conversion, comme le fit Alain Fournier de ses amours mystiques et charnelles. J’aurais aimé, mais c’est là ce qui me sépare de ma génération comme de la sienne, que la dette fut payée, en poème ou en roman : que l’éditeur de ce beau livre lui permît d’exprimer plus avant le lien indissoluble entre foi et activité artistique, observance et création et que cet aller-retour entre pensée magique, mythique et poésie, qui sous-tend le livre en terme d’intention, explosât comme le a de la grenade d’Hérodiade ! Que le chevalier se désarme (au sens de décorserter son armure). Enfin à ce jour, le troisième opus publié de Beau Sangars est aussi le plus beau.
L’incipit :
« Je suis un catholique romain du IIIe millénaire, de la secte de Jésus »
Le fin mot :
« Il est temps d’achever cette séance de cinéma intérieur, alors face aux vitraux des apôtres qui brillent de tous leurs feux, face aux vitraux qui exaltent ces hommes ne cessant de partir où l’esprit les souffle, à la proie du vaisseau. J’éteins… »
Le lecteur, à regret, referme le livre, heureux de voir que ni Smartphone ni transhumanisme en marche ni Web ni aucun des symboles de la postmodernité ne parviennent à démoder et à caducifier tout à fait les puissances du Verbe et se plaît à imaginer Sangars, emportant dans ses bras « l’enfant d’une nuit d’Idumée », s’en aller enfin, à la suite d’Augustin Meaulnes, vers l’Aventure. À la rencontre du Christ. À la rencontre de l’Autre… N’importe quel autre. La grosse Dame en vert de L’Attrape-cœur, celle qui a des varices et est peut-être le Christ, en l’honneur de laquelle Seymour Glass doit cirer ses chaussures quand il passe à la radio ; l’Aliocha des Frères Karamazov ; le Solal de Belle du Seigneur ; Joe Christmas, le métis de Lumière d’Août ; le prêtre de La Puissance et la gloire, acmé du roman catholique…
En un mot comme en cent, j’attends de ce jeune Montherlant qu’il dépose son armure et fasse revivre le mystère de la Passion à des personnages, ce que fit faire à son M. Exupère, obscur fonctionnaire, le vieux Montherlant dans Un Assassin est mon maître et au misérable Celestino Marcilla Hernandez, l’ancien combattant antihéros du Chaos et la nuit.
Sarah Vajda
Romaric Sangars, Conversion, éditions Léo Scheer, janvier 2018,180 pages, 17 euros