La Maison squelette de Camille Patrice

35 ans d’une vie qui tient dans un squelette composé de 12 maisons. Voilà le puzzle que reconstruit le roman de Camille Patrice, La Maison squelette, qui tord le cou aux préjugés contre le roman autofictionnel : il fallait juste le talent de cet incroyable premier roman pour le rendre littéraire à ce point.

Deux familles

Sans jamais vraiment se poser en narratrice, Camille Patrice retrace le parcours des deux familles dont elle est issue. L’une vient du Maghreb, l’autre de la grande bourgeoisie française. Le lien, c’est son père, le Grand-Singe comme il est surnommé, dans ce roman où les personnages n’existent que par le surnom que l’auteur leur donne. Le père, donc, dont la mort est l’acte fondateur de cette quête d’identité, quête de reconstruction de soi au travers des lieux qui disent le parcours d’une vie. Lieux aimés ou fuis, où elle a passé ou grandi, qui conservent en eux-mêmes des souvenirs chaleureux ou froids. Quels qu’ils soient, chacun est une part d’elle. Et dans ce voyage elle ouvre grande toutes les portes et fenêtres pour s’imprégner de ce que chacune peut lui révéler sur les raisons pour lesquelles elle est devenue elle.

D’une maison l’autre, la Bleue, l’Américaine, toutes les autres, Camille Patrice fait un portrait évolutif d’elle-même. Un portrait par le truchement des lieux, de l’âme des lieux, de leurs histoires et de ce qu’elle a pu y projeter.

La trace du père

Camille Patrice n’est pas un produit d’une actualité (forcément difficile) dont il conviendrait d’exposer, vite et mal, les exemples. Bien sur, son parcours de vie est, comme tout à chacun, chaotique. Mais il vaut pour la qualité de la reconstruction bien plus que pour l’étalage des drames et atrocités qui font du lecteur un voyeur. Ici, le lecteur est respecté, parce qu’il trouve une phrase riche et porteuse de sa propre poésie, un rythme et, plus que tout, l’empreinte d’une culture sincère et vraie.

Le père absent est le motif de la quête. Le retrouver en se reconstruisant, le retrouver dans les lieux où il a guidé ses pas. Essayer, difficilement, d’accepter de vivre sans lui. Aucune mièvrerie, rien de compassé ni d’attendu, une brutalité flamboyante qui relève d’un amour filial rare.

La lecture de La Maison squelette est difficile, par sa construction, parce que Camille Patrice ne fait pas d’effort pour guider le lecteur. Quel intérêt d’ouvrir toutes grandes les portes de ces maisons et de nous en donner les clés ? Il n’y a pas ici d’étalage, mais une errance, scandée, dans une vie en train de se reconstruire. Exigent avec lui-même, exigent avec le lecteur, ce roman ne cesse de questionner les structures même de la construction du moi, pour s’imposer comme un chemin ardu au terme duquel le lecteur parvient épuisé, et heureux.

Loïc Di Stefano

Camille Patrice, La Maison squelette, Éditions Léo Scheer, septembre 2023, 260 pages, 19 euros

Laisser un commentaire