Moonlight Express : avis sur un rôle à tenir

Hitomi et Tatsuya coulent des jours heureux et s’apprêtent à quitter le Japon pour Hong-Kong après leur mariage. Hélas, Tatsuya décède tragiquement lors d’un accident de la route. Accablée par le chagrin, Hitomi décide de partir tout de même pour Hong-Kong. Sur place, elle fait la connaissance de Karbo, un policier infiltré, portrait craché de Tatsuya. En dépit du danger, elle va se rapprocher du sosie de son amour perdu, espérant commencer une nouvelle histoire…

Pour les amateurs de cinéma hongkongais et de ses joutes endiablées, le nom de Daniel Lee leur est peut-être familier, puisque le réalisateur dirigea Jet Li en personne en 1996, accouchant au passage d’un amalgame sympathique entre super-héros et arts martiaux, avec Black Mask. Si ce long-métrage ne connut pas les faveurs d’une sortie en salles dans l’hexagone (comme le reste de son œuvre d’ailleurs), il fut tout de même diffusé par la collection HK (société fondée par un certain Christophe Gans). La maison d’édition avait la bonne idée de nous faire découvrir quelques talents venus d’Asie à une époque où le principe de contenu n’existait pas et que les mercredis n’étaient pas noyés sous l’avalanche de films à l’affiche.

Et si cette période est désormais en partie révolue pour le pire et pour le meilleur, certains continuent de dénicher quelques productions oubliées, ce pour notre plus grand plaisir. Parmi ces (re) découvertes, on retrouve un autre long-métrage de Daniel Lee, à savoir Moonlight Express, petit polar romantique (aux allures de film noir) tourné en 1999, passé inaperçu en Occident et qui bénéficie aujourd’hui d’une distribution en Blu-Ray. Façonné avec soin malgré quelques finitions hasardeuses, Moonlight Express appartient à cette catégorie d’œuvres dispensables de prime abord mais suffisamment audacieuses pour être citées.

Comment te dire adieu

Le propriétaire d’un restaurant chic offre un somptueux gâteau en guise de cadeau pour un couple de jeunes mariés. L’épouse verse une larme mais si l’émotion s’empare de la protagoniste, ce n’est pas en raison de la joie procurée par l’événement. Son compagnon du jour l’enlace pour la consoler mais ne devient pas l’heureux élu pour autant. Quand la magie de l’artifice s’estompe au profit d’une réalité plus cruelle, les masques tombent. Une scène clé, fort bien maîtrisée, qui dégage l’atmosphère lyrique toute solennelle désirée par son auteur.

En effet, la grande force de Moonlight Express réside dans la capacité du long-métrage à faire coexister deux mondes bien distincts, ceux de deux êtres éplorés et brisés, souhaitant revigorer leurs âmes errantes à travers le prisme d’une relation fondée sur les échos du passé. Karbo endosse un rôle et permet à Hitomi de (re) visiter tous les moments de partage avec celui qu’elle a aimé, y compris ceux qui n’auront jamais lieu. Par certains aspects, Moonlight Express relève du film noir et par d’autres va à l’encontre des principes du genre puisque Hitomi n’incarne point la femme fatale à ne pas rencontrer, mais plutôt l’ange salvateur. D’ailleurs, on aurait apprécié que Daniel Lee soigne davantage son intrigue policière secondaire, qui ne sert finalement que de ressort dramatique superficiel à l’ensemble, en dépit de quelques bonnes idées.

Infernal affairs

Pourtant le cinéaste s’avérait en quelque sorte visionnaire avec son récit de flic infiltré qui a peut-être inspiré le célèbre Infernal Affairs quatre ans plus tard. Néanmoins, son traitement de la paranoïa, de la pression exercée sur Karbo ne se marie pas naturellement avec la charge romantique qui traverse son long-métrage. En superposant les enjeux avec maladresse, il ne parvient pas à trouver un juste équilibre, puisque son argument policier ne sert qu’à alimenter les rencontres puis la cavale du couple.

Fort dommageable, car les prestations d’un Leslie Cheung toujours impeccable et de Takako Tokiwa ajoutent un peu plus de crédibilité à cette histoire d’amour impossible, incongrue, surréaliste. On est presque agacé par les fusillades et les trahisons qui impactent bien plus Karbo que sa relation avec Hitomi, avec à la clé une conclusion presque anodine à la machination retorse. Une telle chute décevante est en revanche compensée par une ultime scène furtive, d’une beauté évanescente qui subjugue le spectateur une dernière fois.

Ainsi, même si Moonlight Express n’aspire au final qu’à un statut de petite série B sans prétention plus qu’à celui de film culte, il envoûte par ses airs mélancoliques et son apparat fragile. Une réussite sur ce point.

François Verstraete

Film hongkongais de Daniel Lee avec Leslie Cheung, Takako Tokiwa, Michelle Yeoh. Durée 1h45. 1999. Disponible en blu-ray aux Éditions Carlotta

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