The Bikeriders : avis sur une ballade sauvage à moto

Benny est membre d’un club de motards, Les Vandals, dirigé par l’énigmatique Johnny. Il rencontre Kathy dans un bar de la ville et tombe sous le charme de la jeune femme. Avec le temps, les rangs de la bande grossissent et les valeurs se délitent. Il va devoir alors choisir entre l’amour et sa loyauté envers la bande…

Huit ans après les échecs au box-office de Midnight Special et de Loving, Jeff Nichols revient enfin derrière la caméra pour nous offrir son propre récit sur les motards étalé entre le milieu des années soixante et le début des années soixante-dix. Une histoire basée sur un livre de photos publié par Danny Lion (interprété dans le long-métrage par Mike Faist). En s’embarquant dans l’entreprise, Jeff Nichols nourrit sans doute l’espoir à la fois d’accoucher d’une œuvre aussi culte que le très surestimé Easy Rider signé Dennis Hopper et de séduire le public (un succès qui lui échappe depuis Mud en 2012 et encore, le film n’amassa pas non plus des sommes substantielles).

Il faut avouer que le style du cinéaste rebute le plus grand nombre, surtout ceux et celles accoutumés à un rythme frénétique et à un montage tapageur (sans parler de cinéma de genre). Jeff Nichols appartient à cette veine néoclassique tout comme Eastwood (le chef de file), Todd Haynes voire le Spielberg de The Fabelmans ou le Chazelle de First Man. Pour ces adeptes de la retenue, le mot d’ordre est la litote, une méthode qui décontenance les spectateurs habitués aux artifices superfétatoires déployés par beaucoup (trop ?) d’artistes.

Martin Scorsese (sans remettre en question son talent) n’a, hélas, pas engendré que de bons héritiers (à commencer par Tarantino) et a formaté, quelque part, la perception de ce que doit être le cinéma d’auteur, ce à coups d’images chics et surtout chocs. Cette influence, quelque peu néfaste, a considérablement réduit le champ des possibles pour la profession, contrainte de se plier à la tendance pour être reconnue.

Mal scorsesien

Jeff Nichols s’est il engagé sur cette pente périlleuse pour redorer son blason ? S’il s’avère difficile de répondre à sa place, force est de constater qu’a priori, le cinéaste abandonne le regard d’un John Ford ou d’un Charles Laughton au profit de celui plus teigneux, du metteur en scène de Taxi Driver. La narration en témoigne, avec cette construction en aller-retour fondée sur la voix off de Jodie Comer qui rappelle celle des Affranchis. Et il y a surtout ces explosions de violence sourde qui ponctuent les moments de tension, d’une dureté toute Scorsesienne mais tournée avec une fascination moins prononcée.

Ce parti pris prouve que le réalisateur n’a pas tout à fait tourné le dos à ses habitudes, d’autant plus que les dialogues abondent peu tandis que les taiseux Johnny et Benny dépareilleraient presque chez Martin Scorsese. Moins de mots, plus de gestes anodins, comme cette attente quasi obsessionnelle de Benny devant le domicile de Kathy. Jeff Nichols ne s’épanouit jamais davantage que lorsqu’il nimbe son atmosphère d’ombres symptomatiques d’une époque révolue ou quand ses protagonistes arpentent les routes goudronnées, descendantes des grands espaces de Loving (et du western d’antan).

Or la faiblesse du film réside dans un équilibre qui ne peut exister ; celui qui permettrait à la percussion scorsesienne d’épouser l’élégance de Ford. Cet écueil formel brille dès l’introduction et la rixe dans le bar. Les coups vicieux pleuvent après une présentation à couteaux tirés, nuancé par une photographie dans la lignée d’un Pale Rider. À trop jouer sur les deux tableaux, The Bikeriders perd en homogénéité.

Gang of bikers

Fort heureusement, Jeff Nichols trouve la tonalité idoine lorsqu’il développe ses thématiques, qu’elles soient sociétales ou intimistes. Sa capacité à brosser le portrait de parias et de marginaux avec finesse et justesse se confirme une fois de plus quand il se concentre sur ces damnés, chevaucheurs de montures d’acier, considérés à tort ou à raison comme des hors-la-loi contemporains. Tout comme Easy Rider, The Bikeriders raconte la déperdition d’une Amérique moderne et de son prétendu rêve, leurre consumériste qui prive d’autonomie ceux qui le cherchent.

Ici, on suit des êtres avides de liberté dans une ère de changement, dans un pays bientôt ravagé par les affres d’un conflit inhumain. Jeff Nichols relate le tout avec soin, sans fard ni ostentation, par le prisme de nouveaux venus, meurtris par ce qu’ils ont vécu et qui vont apporter l’apocalypse. La troupe chérie par Johnny se désagrège peu à peu comme les liens qui unissent Benny et Kathy. Or, la véritable force du long-métrage se dévoile dans le traitement de ce trio parfaitement incarné par Tom Hardy, Austin Butler et Jodie Comer.

Jeff Nichols évoque toujours cet acharnement à sauver ce qui nous est cher, au prix d’énormes sacrifices, avec pour récompense la chaleur d’un foyer. Dans The Bikeriders, on quitte la famille de force, on la maintient coûte que coûte ou on exclut les brebis galeuses. Le tout sous la houlette des trois protagonistes. On comprend alors que Jeff Nichols ne cesse de basculer sa focalisation pour revenir à la fin au cocon initial, tant désiré et salvateur.

Voilà pourquoi on s’interroge sur le choix formel adopté par le cinéaste, cette volonté de s’écarter de sa ligne de conduite pour plaire et qui induit un résultat désordonné alors qu’une authentique pureté dans l’intention perdure. The Bikeriders véhicule mais ne transporte pas totalement. Malgré tout, on souhaite ardemment que Jeff Nichols ne nous fasse pas languir huit autres années avant de proposer un nouveau projet.

François Verstraete

Film américain de Jeff Nichols avec Austin Butler, Jodie Comer, Tom Hardy. Sortie le 18 juin 2024. Durée 1h56

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