Dans la jungle des Bruce : grains de faux Lee

Entretien avec Stéphane Noguès

Boojum <> Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous feriez mieux de vous intéresser au vrai Bruce Lee plutôt qu’à ses clones ?

Stéphane Noguès <> Que la place est prise ! Beaucoup de gens sont déjà allés interroger d’anciens collaborateurs de Bruce Lee et ont écrit sur celui-ci, bien mieux que je ne saurais le faire. Que des spécialistes de Bruce Lee comme Thierry Dréan et Christophe Champclaux n’ont jamais critiqué mon goût pour les clones de Bruce Lee. Ce goût, en fait, est né d’un manque affectif : mon héros – héros du peuple chinois d’abord, puisqu’il symbolisait la résistance aux Japonais et aux méchants Occidentaux — avait disparu après quatre petits films et demi et m’avait laissé bien vite « orphelin ». J’appartiens à la génération vidéo, celle qui a connu les cassettes René Chateau, mais Internet n’existait pas encore : on avait donc très vite fait le tour des jeux de photos disponibles. Et j’ai, en bonne logique, fini par vouloir voir autre chose : la Bruceploitation est venue combler un manque. 

Quand j’ai découvert Les Six Épreuves de la mort avec Bruce Le, j’ai trouvé que les codes chers à Bruce Lee étaient repris fidèlement : éclairages, coupe de cheveux, vêtements, attitudes. Bruce Le, en outre, contrairement à Bruce Li, qui n’est qu’un athlète, était convaincant en homme d’action. Il m’a fait rêver, et c’est la raison pour laquelle je lui ai consacré mon premier livre. Aujourd’hui encore, j’aimerais bien le rencontrer, car je me demande toujours ce que peuvent bien avoir dans la tête ces types qui ont connu leur plus grande gloire en imitant Bruce Lee. En se glissant dans le fantôme d’un autre.

© coll. Stéphane Noguès

Qui placez-vous sur votre podium des faux Bruce Lee ?

Sur la première marche, Bruce Le, que je viens de citer. Tout le monde veut que le meilleur clone de Bruce Lee soit Bruce Li, parce qu’il a été chronologiquement le premier, parce que c’est le plus ressemblant… Commandent d’ailleurs mon livre des étrangers qui ne parlent visiblement pas le français – il va falloir que je songe à publier une traduction anglaise ! –, et qui l’achètent simplement parce qu’ils ont vu le nom « Bruce Li » sur la couverture ! Cependant, Li est un gymnaste, avec des compétences incontestables certes, mais non un lutteur, en tout cas pas au départ. Bruce Le est, disons-le, un affairiste, une gentille crapule, mais c’était aussi une bête de travail. Il s’entraînait avec des gens qui avaient travaillé avec Bruce Lee ; il avait fait ce qu’il fallait pour avoir des durillons sur les poings comme Bruce Lee ; il pratiquait le jeet kun do comme Bruce Lee. Oui, pour moi, c’est indubitablement le meilleur des faux Bruce Lee.

Ensuite, on pourrait citer le Coréen Dragon Lee, alias Bruce Lei, ou encore Tung Lung, spécialiste du taekwondo avec un remarquable jeu de jambes, et qui a emprunté son nom au personnage interprété par Bruce Lee dans La Fureur du Dragon. Imaginez, si vous voulez, un comédien sosie de Terence Hill qui prendrait comme pseudonyme Trinità ! Tung Lung est l’interprète du Jeu de la mort et du Jeu de la mort III, et aussi d’un film intitulé Jackie défie Bruce, film qui se pare en outre, comme le suggère ce titre français, d’un faux Jackie Chan – Jackie Chen !

D’autres clones ont surgi dans les années quatre-vingt-dix, dont Dragon Sek, ancien instructeur de l’armée chinoise, capable de jouer au ping-pong avec un nunchaku au lieu d’une raquette (mais c’est peut-être un trucage optique ?). 

© coll. Stéphane Noguès

Comment organisez-vous vos recherches – ne se perd-on pas dans l’écheveau des différents pseudonymes pour un même comédien ou des différents titres pour un même film ? – et comment vivez-vous les aspects ingrats de ces recherches, entre autres l’obligation de voir beaucoup de navets ?

Qui a vu comme moi Maang Long Ching Dung, autrement dit Bruce Lee contre Supermen, de Wu Chin Chun, est vacciné et peut survivre à tout ! J’essaie d’avoir l’œil indulgent du cinéphile et de trouver, même dans les pires films, le petit élément de chorégraphie qui mérite l’attention. Sinon, comme tout le monde, entre les scènes de combats, j’utilise la touche « avance rapide »…

De fait, le plus difficile n’a pas été d’écrire le livre, mais de réunir et de recouper les informations – même le site imdb est rempli d’erreurs. Ce Bruce Li représente trois ans de travail, à raison de deux à trois heures tous les soirs, en plus de mes activités professionnelles. Épluchage de tous les sites et forums, lecture de tous les livres sur la question, rencontres… J’ai fait dix mille kilomètres pour aller interviewer en Thaïlande John Ladalski (qui interprète le meilleur ami de Bruce Li dans Le Cascadeur chinois) et je lui suis éternellement reconnaissant de m’avoir prêté une caméra quand je me suis aperçu que j’avais oublié chez moi le chargeur de mon caméscope ! Je pourrais vous parler aussi des fichiers informatiques perdus en route… De quoi suis-je le plus fier ? D’avoir mené mon travail jusqu’au bout ! 

Y a-t-il un film que vous n’avez pas pu voir et que vous rêvez de voir ?

Oui, Yellow Tiger v. Black Dragon, un film avec Tong Lung (à ne pas confondre avec Tung Lung, cité précédemment !), inédit en vidéo en France, et dont on ne peut voir que des extraits sur YouTube. J’ai découvert un jour l’affiche de ce film derrière la caisse d’une boutique où l’on vendait tout et n’importe quoi sur le cinéma. J’ai demandé qui il fallait tuer pour pouvoir acquérir cette affiche, mais le patron a refusé de s’en défaire. J’aimerais voir un jour ce film dans son intégralité.

© coll. Stéphane Noguès

Vous avez commencé à travailler comme cascadeur ? Bruce Lee a-t-il été à l’origine de cette première vocation et en quoi consistent actuellement vos activités professionnelles ? 

Bruce Lee m’a donné l’envie de faire du cinéma. D’être une vedette ! Et il m’a amené à pratiquer le karaté et les arts martiaux. Mais c’est Jackie Chan qui, un peu plus tard, m’a montré qu’on pouvait utiliser les arts martiaux pour faire des cascades et qui a déterminé ma vocation initiale.

Aujourd’hui, je suis promoteur de spectacles de catch et directeur et coach d’une école de catch. Les élèves participent à des combats à travers toute la France, en Europe, aux États-Unis et même au Japon. Moi-même je lutte encore un peu une fois par an, sous mon nom, Stéphane Noguès, ou sous celui d’Ivan le Terrible. Je coache aussi des artistes de rue, comédiens ou cascadeurs, qui souhaitent inclure ou ajouter des cascades dans leurs numéros.

Et puis il y a mon site, bruceploitation-collector.com, qui recense tous les produits de la Bruceploitation, et où l’on trouvera mes vidéos. L’une des dernières, Bruce No à Bornéo (clin d’œil au film Big Boss à Bornéo) passe en revue une quarantaine de faux Bruce Lee.

Propos recueillis par FAL

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