L’île, l’Islande en mode Post’Apo par Sigridur Hagalin BJÖRNSDOTTIR

premier roman, Île de S H Björnsdottir nous plonge dans une dystopie cruelle car plausible.

L’Islande est une île. Ce pays d’Europe est l’un des territoires les plus au nord qui soit habité sur notre continent. L’un des plus rigoureux aussi. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, ce surgeon du royaume du Danemark, n’a pas dépassé les 50 000 âmes. Pas besoin de guerre, la cruauté et la dureté des conditions de vie ont toujours régulé ce pays de glace et de feu.

Alors quand brusquement toutes les communications avec l’extérieur sont coupées, ce pays île est replongé dans sa nature profonde. Être isolé du monde. Ni internet, ni radio, ni signaux satellites, ni avions, ni bateaux. Rien. Le néant. Quel avenir à long terme, quelles solutions à court terme ? Comment résister à cet improbable événement ?

Voilà posé, impétrants lecteurs boojumiens, le futur particulièrement angoissant de l’île, opportunément réédité par les Éditons Gaïa dans leur collection de semi-poche Kayak. C’est grâce à l’imagination fertile et à la cruauté imparable de Sigridur Hagalin Björnsdottir que vous allez vivre un voyage oppressant, remarquable même ! Parce qu’ici à Boojum l’animal littéraire, on aime les romans et les ambiances post’apo, cet avenir islandais mérite une exploration attentive.

Apocalypse Snow and Slow

Il ne nous reste que deux possibilités : régression et simplification, ou extinction. »

Car comble de malchance, le pays est presque sans tête ! En effet, le président islandais, son premier ministre et une partie du gouvernement étaient à Berlin pour un sommet européen. Devant l’ampleur des risques, l’iconique ministre de l’intérieur Elin Olafsdottir, déclare l’état d’urgence. Elle fait proclamer les premières mesures de restrictions en attendant une hypothétique issue avec l’assentiment d’une très grande partie de la population. Ancienne figure de la télévision islandaise dont elle était la présentatrice vedette (toute comme l’auteure !), elle incarne une figure maternante forte et bienveillante.

Car l’Islande est une démocratie sage et collaborative. Donc, cette héritière des Vikings prend avec confiance et énergie les décisions aptes à rassurer et réconforter les 400 000 citoyens et les 50 000 étrangers qui y vivent. Et c’est avec un œil bienveillant et informé que Hjalti, journaliste du grand quotidien national couvre l’évolution des événements. Chroniqueur politique expérimenté, il connait tous les rouages du conseil et des parti(e)s en présence. Il côtoie même Elin depuis longtemps, flirtant, dans tous les sens du terme avec la déontologie journalistique au grand dam de sa rédactrice en chef !

Winter is coming

Dés lors, malgré les restrictions, les vicissitudes de sa vie privée tout aussi chaotique (sa rupture avec Maria la belle violoniste d’origine espagnole), Hjalti comme beaucoup, ne s’émeut qu’avec tiédeur aux premiers changements ambigus. C’est le prix à payer pour cette crise. Car bizarrement au début, après l’angoisse fusionnelle de tout un pays (les familles déchirées, les ressources drastiquement entamées), cette crise n’a pas que des mauvais côtés. L’autarcie imposée par ce mystérieux black out produit même des cercles vertueux vers une autonomie dont rêvaient les utopistes.

Nous sommes une nation qui possède d’importante richesses naturelles, de l’énergie en quantité, des idées et nous ne manquons pas d’inventivité. Nous trouvons les moyens de continuer à faire fonctionner cette petite machine puissante qu’est l’Islande. »

Mais, bien sûr, les masques se fissurent assez vite devant l’évidence. Avec ses seules ressources le pays devra faire des choix radicaux. Parer au plus urgent sans attendre les solutions miracles des chercheurs et des ingénieurs devenus les héros de ce temps. Le spectre de la disette puis de la famine, voire de l’épidémie, ces fantômes qui ont jalonnés l’Histoire islandaise, refont surfaces dans les commissions secrètes du conseil d’état auquel Hjalti assiste. Privilège octroyé par une Elin proclamée première ministre par intérim, de plus en plus ambitieuse. Le souffle fétide du nationalisme reprend vite vie. Encouragé par la doxa des discours censés motivés la nation aux abois. La saga islandaise va reprendre ses droits. Et malheur aux vaincus.

Glace et feu, Heilsland !

Maria, l’ancienne compagne de Hjalti est alors le contrepoint du récit. Lentement d’abord, puis terriblement vite ensuite, le glissement d’un état de droit, à hauteur d’hommes et de femmes, vers une dictature implacable est inéluctable. Sa fille Margret, ado atone, devient même alors une des rebelles qui squattent les zones urbaines. Ces malls désertés, où une société autarcique de mineurs esseulés, sèment une terreur sidérante. Ils rendent responsables les adultes du chaos, sans se rendre compte qu’ils se précipitent encore plus vite qu’eux dans une voie sans issues.

Malgré les commissions de spécialistes, les solutions intermédiaires, les compromis temporaires, plus rien ne permet de réguler la vague qui surgit et balaye le pays. Car tous les comptes sont formels, l’Islande ne sera vivable que pour 300 000 habitants. Et encore ils vivront chichement. Dés lors que faire des bouches inutiles ?

Comme dans la saga islandaise, la lutte s’opère, entre héroïsme et sacrifice. Entre courage et lâcheté. Compromission et opportunisme. La survie avilit tout. Ou presque. L’île a son tour ne répond plus. Alors pour Hjalti, Maria, Margret, les inconnus croisés au hasard des fuites ou reniements, victimes expiatoires ou bourreaux impitoyables, c’est une symphonie funèbre qui se compose alors en mode crescendo. Ostinato.

Île and Hell

C’est pourquoi, histoire de la fin du Monde, puis récit de la fin du dernier bastion de ce monde, île est un roman rare. Construit par chapitres successifs, comme tout bon récit choral issu d’un scénario cataclysmique, il alterne les voix et les ambiances avec un réalisme stupéfiant. Articles de journaux, flash spéciaux, discours et harangues, tout fait sens dans ce non-sens qui sourd.

Mais, surtout, inoubliable, il y a le journal de cette voix unique qui relie le tout. Celle du mystérieux Svangi. Voix du futur mais qui ressemble furieusement à un passé sauvage, barbare. Tel un orant, elle pose sur le monde, son monde comme un chant ultime. Celui d’un Chœur, d’un cœur, qui pendant la tragédie rythme l’inéluctable fatum.

Me voilà bien puni, je peux donc aujourd’hui rédiger les annales de ce qui est advenu. Regretter le passé et céder à la nostalgie, cerner le temps jadis, rappeler comment le lien s’est rompu, comment la lumière a décliné et comment la nuit s’est abattue. »

Entre la Vague de Todd Strasser, pour son totalitarisme inéluctable et la Route, LE chef d’œuvre de Cormac McCarthy pour sa désespérance, L’île de S H Björnsdottir est un premier roman remarquable !

Révérence et chapeau bas Madame !

Marc-Olivier Amblard

Sigridur Hagalin Björnsdottir, Île, Éditions Gaïa, « Kayak », traduit de l’islandais par Éric Boury, septembre 2019, 276 pages, 11 eur

Voici un extrait à feuilleter

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :