L’autre Rimbaud, la part de l’ombre fraternelle

A force d’avoir été effacée, de son vivant même, la vie de Frédéric Rimbaud est un mystère que personne n’a cherché à résoudre. Personne. Sinon Pierre Michon, qui confesse son impossibilité à écrire le livre espéré sur l’autre Rimbaud. L’autre, thème si rimbaldien pourtant ! David le Bailly, fort de cette impasse, a trouvé la force de s’intéresser à cette ombre. L’Autre Rimbaud est une biographique qui recrée l’homme dans un roman-enquête magnifique. Mais il dresse aussi le portrait vue de l’intérieur d’une famille bien particulière. Et d’un poète qu’on pense encore mort à vingt ans…

Une vie contre

Frédéric Rimbaud aura toute sa vie été considéré en regard d’autres. Son frère Arthur, dont il était le protecteur, puis deviendra le suiveur et enfin la contre-image. Le père, dont il porte le prénom et qu’il prend comme modèle en voulant embrasser la carrière militaire. Et au risque des colères de la mère. Cette effroyable marâtre de Vitalie, qui dirige la famille comme sa propriété. Frédéric est un homme simple. Il se mariera contre l’avis de Vitalie pour devenir libre, et qui restera toute sa vie attachée à sa région. Un homme simple, qui n’aurait pas eu de destin sans le foudroyant poète qui fut son frère. Son inestimable compagnon dans leur vie d’écoliers. Puis presque un étranger…

Etais-je le seul être au monde à m’intéresser à la vie de Frédéric Rimbaud ?

Le roman du roman

Intercalé entre chaque chapitre, le roman du roman. Où comment David Le Bailly en est venu à ce sujet, quelles recherches il fait, qui il rencontre, ce qu’il lit. Toujours pertinent et propice à remettre du réel dans la fiction, comme pour l’ancrer, cette manière d’arrière-salle est une enquête qui vaut pour elle-même. Sous l’égide de Jean-Jacques Lefrère et d’André Guyaux, deux émérites rimbaldiens, les petits pas sont autant de terrain gagné sur l’ignorance. C’est un vrai beau travail de chercher, de fouineur d’archives. C’est l’enquête pour donner à l’absent son essence d’homme.

L’autre, c’est encore le même

L’Autre Rimbaud est un très beau roman. La langue y est admirable de justesse et d’élégance. Et on y découvre aussi — voire surtout — cet autre Rimbaud, Arthur ayant délaissé son habit de poète pour prendre celui d’explorateur. Un homme aigre, méchant, obnubilé par l’argent comme un simple épicier et qui accaparera le peu d’affection qu’est capable de donner Vitalie. Et le pauvre Frédéric, resté proche, sera l’absent quand l’autre, des lointains, sera le seul qui ai compté…

Ainsi David Le Bailly fait-il dans son impressionnant travail d’exploration de l’ombre à côté de l’homme célèbre une mise en abime de l’homme célèbre lui-même, pour en montrer les vils côtés. Et faire de Frédéric cet homme qui aura mérité une biographie. L’Autre Rimbaud est vraiment un très beau roman.

Loïc Di Stefano

David Le Bailly, L’Autre Rimbaud, L’Iconoclaste, août 2020, 366 pagers, 19 eur

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