L’affaire N’Gustro, les débuts réussis de Manchette

Le pape du Néo polar : le rôle dont ne voulait pas Manchette

Nombreux sont les lecteurs qui connaissent Manchette, l’auteur consacré, le maître du roman noir à la française (lire La Position du tireur couché est le meilleur que je puisse souhaiter à tout lecteur). Mais Manchette a eu une vie, a été jeune… Ancien militant contre la guerre d’Algérie, influencé par le situationnisme, Jean-Patrick Manchette était aussi un fin cinéphile qui rêvait de travailler dans le cinéma, pour la beauté de l’art mais aussi parce que ça rapporte. Comme il n’arrivait pas à percer dans l’écriture de scénarios, il a commencé à écrire de tout : novélisations, romans pour la jeunesse, pornos… Et puis au début des années 70, il s’est mis au roman noir, d’abord avec son compère Jean-Pierre Bastid avec Laissez Bronzer les cadavres, puis seul avec L’Affaire N’Gustro : et voici que Gallimard réédite ce premier roman « en solitaire », qui marque d’emblée, comme on va le voir, l’émergence d’un grand écrivain.  

Itinéraire d’un jeune paumé

Le roman s’ouvre par l’élimination d’Henri Butron par deux mercenaires. Butron avait enregistré des bandes que les deux hommes rapportent à leur employeur, le maréchal Georges Clémenceau Oufiri. Ce dernier se plonge avec délectation dans leur écoute. On découvre l’histoire de ce Butron, un jeune révolté sans cause, originaire de Rouen, obsédé par les filles et… le jazz. La guerre d’Algérie aidant, il se positionne plutôt à l’extrême-droite :  

Le lycée était assez politisé à l’époque. Il y avait d’un côté les communistes, qui ne faisaient rien mais qui étaient tout de même les plus dangereux, et les JSU, groupés autour d’un journaliste juif ami de Mendès France ; et de l’autre côté, les nationalistes, tout aussi cons si ce n’est plus. Je peux dire que j’ai été contacté par des inférieurs, et qu’ils n’auraient rien fait sans moi. 

Après avoir fait une grosse connerie, il se retrouve engagé dans l’armée mais est rapidement réformé. Ses parents vite décédés, Butron erre, marine dans différents milieux. Il retrouve une ancienne camarade, Anne Gouin, militante de gauche. Il finit par coucher avec elle, puis aussi avec sa mère. Puis il raconte toute son histoire avec un détachement certain. Connu pour son côté activiste, Butron se retrouve mêlé à des histoires peu claires dont la protection de N’Gustro, un opposant à un dictateur africain soutenu par la France. Butron se retrouve bientôt mêlé dans des intrigues dont N’Gustro ne ressortira pas vivant… A la grande joie d’Oufiri qui se marre bien en écoutant les bandes.  

Un premier essai réussi et très politique

L’Affaire N’Gustro relève de l’exercice de style, Manchette créant un récit à la première personne, avec un « héros » aux antipodes de ses convictions. Au point qu’un ADG (autre romancier très talentueux) a cru que l’auteur était un de ses « frères » politiques, proche d’Occident… 

Manchette s’est évidemment inspiré d’une histoire célèbre, l’affaire Ben Barka, pour bâtir son intrigue. Mais il a surtout profité de l’occasion pour se livrer à une étude de cas. Il prend Butron et analyse son comportement, en bon béhavioriste, sans tomber dans le pathos. Il est aussi impitoyable dans sa description des milieux gauchistes (il n’a pas dû à l’époque se faire beaucoup d’amis). Et puis au passage, la « Françafrique » en prend un bon coup. Au final, on a un roman dur, parfois haché, sans pitié pour son narrateur et la fin laisse rêveur. Manchette voyait (à raison) le monde en noir.

L’Affaire N’Gustro constitue une excellente introduction à un des écrivains majeurs du XXe siècle français.    

Sylvain Bonnet

Jean-Patrick Manchette, L’Affaire N’Gustro, préface de Nicolas Le Flahec, Gallimard, « série noire », juillet 2020, 224 pages, 14 eur

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