« Désir d’IKEA » de Samuel Doux, le bonheur en pièces détachées

IKEA, un des grands mythes du XXe siècle !

A la fois enquête et étude sur la marque suédoise qui a su conquérir la planète, l’essai de Samuel Doux Désir d’IKEA nous fait découvrir l’œuvre quasi-messianique de son créateur et inventeur du design démocratique : Ingvar Kamprad.

Samuel Doux, avec d’incroyables accents houellebecquiens, s’attache à décrypter et à analyser le succès de la marque jaune et bleue passée de l’état de petite PME à un groupe réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 30 milliards d’euros. On y découvre la stratégie à grande échelle mise en place pour capter le consommateur en analysant par la même occasion nos chimères et pulsions consuméristes.  Après un tableau idyllique de l’enseigne vertueuse partageant nos préoccupations sociétales, une fois retiré son voile aliénataire on y découvrira l’envers du décor (ce qui explique que l’enseigne s’associe avec de grandes ONG, afin de redorer son blason…). On y apprend le passé sulfureux d’Ingvar Kamprad du fait de ses accointances avec le national-socialisme (1) ; des pratiques douteuses comme l’exploitation du travail des prisonniers politiques de l’ex-Allemagne de l’Est ou de prisonniers cubains durant les années soixante-dix ; une politique managériale très discutable faite de discrimination à l’embauche ou de flicage des salariés ; un engagement écologique de façade…

Bref, autant d’informations qui écornent les engagements mis en avant par IKEA comme la protection de l’environnement ou encore la lutte contre l’exploitation du travail des enfants.

 

Le fétichisme de la marchandise

A travers les mécanismes opératoires d’IKEA sur le consommateur mondialisé et standardisé, c’est aussi l’occasion de traiter du fétichisme de la marchandise propre à notre société et de l’idolâtrie quasi religieuse envers la marque. Via une uniformisation du design, une esthétique dictatoriale à destination des masses prônant la disparition de toute notion de Lutte des classes au profit d’un sacro-saint design accessible à presque toutes les catégories socio-professionnelles, IKEA et son concept sont indétrônables. La marque suédoise sachant fédérer au travers de la création d’un monde idyllique déconnecté d’un réel désagrégé, elle parvient à survivre aux convulsions de la planète et en ressort à chaque fois encore plus forte.

Grâce à un mode de production outrancièrement capitaliste, usant des ressorts de la mondialisation permettant à son fondateur et de ses fils de s’exonérer d’une grande partie de leurs impôts, IKEA se fait aussi le chantre du mondialisme cosmopolite de la marchandise.

 

 

Désir d’IKEA est un essai qui, au-delà de traiter de la célébrissime marque suédoise, se révèle être aussi un beau décryptage de notre époque et de ses paradigmes. Il est toutefois déconseillé aux plus fervents dévots de la marque, au risque de susciter l’apostasie…

 

Romain Grieco  

 

Samuel Doux, Désir d’IKEA, Robert Laffont, « Nouvelles mythologies », octobre 2017, 160 pages, 10 euros

 

(1) Il aurait été membre de l’équivalent suédois des Jeunesses hitlériennes, reste à savoir si l’on pouvait ne pas en être à l’époque…

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