« Sur le toit de l’enfer », le polar d’Ilaria Tuti
Le petit village de Traveni est coincé entre la forêt et les falaises abruptes, dans un paysage d’une beauté sauvage et mystérieuse. Hostile. Entre 1978 et nos jours, dans la région italienne du Frioul, quand le fantôme rôde, les mises en scènes sanglantes exposent des corps mutilés et des énigmes qui vont perturber la paix des hauteurs. Sur le toit de l’enfer, c’est bien là que nous conduit Ilaria Tuti dans ce thriller sur-plébiscité en Italie dès sa parution.
Commissaire féministe
Teresa Battiglia, commissaire de police aux fulgurances instinctives, est le point fort du roman, elle est attachante malgré son mauvais caractère et, peut-être, à cause justement de sa personnalité. Excellente profileuse, elle sent le point faible des tueurs à la poursuite desquels elle se lance. Mais dans cette affaire, toutes ses qualités vont être mis à mal. Des qualités, pourtant, elle en a, c’est une femme de coeur, fidèle en amitié et dure au travail, et une un flic hors pair, même si elle se cache derrière un abord bougon et volontiers réfrigérant…
Teresa Battiglia est une vraie belle figure de femme en ce qu’elle n’est pas un garçon manqué ni un vamp qui joue de ses charmes, c’est une femme « normale », entière dans ses faiblesses et des colères, tellement plus vivante et belle que nombre d’héroïnes trop fades et si peu vivantes… Sur le toit de l’enfer est, pour ainsi dire, façon Zweig, un portrait de femme.
D’autant plus intéressante, cette femme, qu’elle va devoir affronter un mal rare, primordial, qui déchire les corps et broie les âmes, en quête d’une vengeance dont les sources remontent loin, dans les couloirs obscurs d’un vieil orphelinat…
L’orphelinat maudit…
L’orphelinat isolé en pleine montagne pour servir de décor à quelques mystérieux assassinats, ou déambulations fantomatiques, ou autres horreurs, est une figure éculée du genre. Ilaria Tuti s’en sert comme base historique, situant la partie souvenirs de son roman dans les hauteurs de l’Autriche, non loin de la frontière italienne, où se situe la seconde moitié, de nos jours.
Ces allers-retours servent à poser le portrait d’un tueur en série, qui est d’abord présenté comme un génie du mal, très méticuleux, obsédé par des mises en scènes somptueuses. Mais le meurtrier n’est pas à la hauteur de la commissaire, ni à celle des décors sublimes et si bellement décrits, car le personnage le plus important et le plus réussi, c’est incontestablement le décor. Non que les acteurs soient pantins sur fond de bois, mais le fond est si puissant qu’il rend les hommes bien petits…
Avant d’être une enquête policière aux limites de la folie, dont on pourra regretter qu’elle se dévoile trop tôt dans le récit et laisse moins de place au suspens proprement dit (les réminiscences surtout facilitent trop la vie du lecteur), Sur le toit de l’enfer est avant tout un vrai beau roman, riche de détails et de descriptions qui justifient pleinement son succès.
Loïc Di Stefano
Ilaria Tuti, Sur le toit de l’enfer, traduit de l’italien par Johan-Frédérik Hel Guedj, Robert Laffont, « La Bête noire », 403 pages, 20 euros