L’Étoile du Nord de D.B. John, l’enfer est nord-coréen
D.B. JOHN, L’Étoile du nord : un thriller d’espionnage terriblement efficace !
La collection « Équinox » des Éditions Les Arènes complète avec pertinence son offre polar avec la publication de L’Étoile du Nord de D.B. John. Aurélien Masson, à sa tête, inaugure donc de belle façon ce retour, confirmé ailleurs, à un genre « l’espionnage 2.0 » (on en parle sur Boojum ici). Ce livre traduit par Antoine Chainas — par ailleurs auteur de l’admirable polar Empire des chimères, est en effet un pur thriller d’espionnage comme on n’en fait plus. Il faut dire que le sujet, la Corée du Nord et la dernière dictature monarchique ET communiste du monde, est à lui seul du pain béni pour les plus terribles et les plus extravagants des scénarios.
La réalité dépasse la fiction
Car comment ne pas halluciner devant un pays où la réalité dépasse la fiction tous les jours que dieu fait ? Sous le joug du surgeon de la troisième génération de Kim. Depuis le grand leader autoproclamé à la mode Mao, Kim-Il-Sung. Fondateur de la nation, la glorieuse DPRK (Democratic People’s Republic of Korea) lors d’une guerre civile effroyable. Un pays de 25 millions d’habitants, pas plus grand que la Pennsylvanie comme le souligne l’auteur dans une interview au Point, mais possesseur de l’arme atomique au grand dam de ses voisins asiatiques, et d’une Amérique redevenue (?) paranoïaque. Un pays suspendu à la guerre (petit rappel : un armistice n’est PAS un traité de paix), aux traumas toujours vifs. Aux secrets toujours prêts à resurgir.
Espionnage mais pas que…
Donc c’est justement à un imbroglio de destins, écrasés par la grande Histoire, que nous entraîne D.B. John. Car ce journaliste gallois a donné de sa personne pour nous rendre une trame ultra-réaliste. Nous faire dépasser l’espace d’incrédulité face aux péripéties parfois extra-ordinaires. Entre un James Bond de la guerre froide, un Mission impossible 2.0 et 1984 mâtiné de Meilleur des Mondes (et — mauvais — génie génétique en prime).
En effet, il a séjourné plus de six mois en Corée du Sud. Rencontré des réfugiés politiques, des évadés, des repentis. Visité, en mode big brother is watching you, la Corée du Nord. Salué les officiels. Et collecté des sources bibliographiques, des témoignages de premières mains comme les documents étayant son livre l’attestent (à consulter en fin de roman après la lecture, spoilers garantis sinon !). Ainsi, il a su opérer ce mix bienvenu entre une fiction d’espionnage très efficace, mais classique, et un documentaire élaboré, presque en mode narrative non-fiction.
Car en cette année 2010, année charnière où le vieux Kim Jong-Il tarde à passer la main à son héritier Kim Jon-Un, c’est trois pistes concomitantes que nous allons suivre. Trois destins que la tyrannie nord-coréenne ne veut pas voir s’échapper de ses filets. Suivis par les yeux du BOWIBU, sorte de KGB et de STASI nord-coréen, les protagonistes de l’h/Histoire, vont devoir se débattre comme des beaux diables face aux rets resserrés des services secrets. Aux trahisons, aussi. Aux révélations surtout.
Trois vies, un seul fatum
Jenna Williams, la première, américano-coréenne, métissée d’un GI afroaméricain et coréenne par sa mère, cherche à élucider la disparition de sa jumelle Soo-min, il y a douze ans sur une plage au large de la frontière des deux Corée. Opportunément, elle croit se servir de la CIA, en acceptant de travailler avec eux sur une mission de renseignements au Nord. Mais le diable gît dans les détails !
Madame Moon, n’a qu’une secte en tête : la sienne. Se sortir de l’enfer de la vie au nord du 38ème parallèle et de sa DMZ surmilitarisée. De ces villages affamés de trop nombreuses fois, des masques constamment portés. Pour cacher sa rage, arrêter cette fuite en avant pour tromper sa peur. Car oui, cette fois, l’opportunité lui tend les bras. Un ultime trafic, un marché noir, vont lui permettre de disparaître, loin d’ici. De se refaire une nouvelle vie. De vivre, tout simplement. Ou pas. Croit-elle aux sacrifices sans y laisser son âme ? L’espoir est un terrible moteur.
Cho Sang-Ho est un haut-gradé de l’armée nord-coréeenne. Un lieutenant-colonel. Un apparatchik endoctriné depuis toujours. Grandi dans l’ombre du Juche, le grand bond en avant marxiste du parti unique. À l’abri dans la seule institution riche du régime. Croit-il. Pour rester un élu, avoir un futur, il faut montrer un présent d’obéissance aveugle, et un passé sans tâches surtout. Mais voilà, c’est sans compter sur les origines secrètes de sa fratrie que lui révèle son frère. Si ce fait est découvert, tout s’écroule pour lui. Et les siens, et sur trois générations ! On est vite porté disparu ou envoyé en camp par ici.
Sa vie s’achevait. Il était surpris de constater à quel point cela lui indifférait. S’il se penchait sur ce sentiment, cette légèreté face à la mort, il lui fallait en déterminer la cause. Au fond de lui, il avait toujours su que l’histoire se terminerait ainsi. Cette conclusion le soulageait et lui donnait un courage inattendu. Une colère empoisonnait son cour, un désir de vengeance.
Fin d’un règne et début d’un autre
En fil rouge, la guerre larvée de succession du clan Kim, père et fils, devient ouverte. Tous les coups sont permis. Et au milieu de ce magma de bassesse, la boîte de Pandore des turpitudes de l’Histoire relâche ses miasmes. Litanie sans fins des exactions d’une tyrannie folle et toujours vivace. Où TOUT est possible, surtout le pire. Car le fils du tyran est pire que son Néron de père. Caligula Kim Jon-Un, est plus rationnel, plus efficace encore que Kim Jong-Il. Les enlèvements programmés ou par caprices dynastiques du prince. Les trafics en tous genres avec les mafias du monde. Les agents dormants et les métissages forcés par mère porteuses, moyen eugénique de créer des taupes infiltrées parfaites. Intégrées partout où cela semble bon aux maîtres de Pyongyang. Camps, Famines, Délation.
Paradoxe, ce hiatus terrible et inédit, cette guerre interne, est sans doute le moment idéal, unique de se glisser enfin hors de l’enfer. De révéler aussi, l’envers des vérités cachées. Au prix, terrible s’il le faut, de révélations insoutenables. Goulags, camps expérimentaux, martyrs religieux, recherche chimique létale et nucléaire. Il y a des recettes où l’on a parfois l’impression d’avoir affaire plus à de l’alchimie ou à de l’occultisme. À une stratégie orchestrée par un Machiavel croisé avec Raspoutine qui aurait le bouton rouge comme joystick…
Un page turner addictif
Rares ont été les polars avec la Corée en toile de fonds. Du Nord qui plus est ! Le cinéma et les dramas sud-coréens, a contrario, nous ont abreuvé d’un style proche des films noirs US, en un maelstrom sombres et grandiloquents. Urbains et torturés. Peu sont ceux qui ont tentés et réussis, encore plus en France, à aborder ce thème casse-patte, sans sombrer dans de la politique fiction ou, pire, du docu-fiction larmoyant voir idéologisé. De mémoire, seul DPRK d’Alain Gardinier (réédité en folio policier) et Jean Luc Bizien et sa trilogie des ténèbres (prix sang d’encre 2016), avaient creusé avec un hyper-réalisme étonnant, cet univers concentrationnaire à ciel ouvert, hélas toujours vivace.
Ici, on se régale sur 600 pages, sans aucun temps mort ! L’avenir du dialogue entre deux présidents aux egos surdimensionnés comme Trump et Kim Jun-Un laisse augurer des suites, ad nauseam, à ce grand jeu de dupes !
Révérence et chapeau bas, Mister D.B. John !
Marc-Olivier Amblard
L’Étoile du nord (Star of the North, 2018), de D. B. John, Éditions Les Arènes, « Équinox », janvier 2019,raduit de l’anglais (Pays de Galles) par Antoine Chainas, 611 pages, 22 eur