Dix écrivains États-Uniens du XXe siècle en BD
Il était une fois l’Amérique de dix grands écrivains du début du XXe siècle : les voilà racontés dans un magnifique album de BD qui doit comprendre pas loin de 2000 cases, bravo Jean-Baptiste Hostache — sauf que les États-Unis ne sont pas toute l’Amérique, faut-il voir dans cet abus de langage un soupçon d’impérialisme ?
Si Dashiel Hammett (1894-1961) invente le roman noir, ce n’est pas seulement parce qu’il fut un temps détective privé : il côtoya la guerre des gangs du temps de la prohibition, et aussi la guerre tout court, celle de 14-18. Il assiste à l’effondrement d’un monde, celui du XIXième siècle qui se termine dans la boucherie des tranchées.
Henry Miller (1891-1980) quant à lui, met en branle (si on peut dire) le puritanisme, il voguera de censure en censure, de procès en procès… C’est à Paris, dans les bras d’Anaïs Nin, auteure de La maison de l’inceste, qu’il conforte sa vocation littéraire : il écrira bientôt sa Crucifixion en rose, dont le titre du premier volume est annonciateur : Sexus.
Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), quant à lui, dresse le tableau d’une génération perdue, celle de la guerre encore une fois, devenue cynique, blasée et fêtarde.
Avec William Faulkner (1897-1962), on voyage dans le sud profond, qu’il qualifie de « patrie des damnés ». Le souvenir de la guerre de Sécession (1861-1865) reste vivace, le racisme sévit toujours. Faulkner tient à être un héros de guerre, l’alcool aidant il s’invente des exploits. Il fréquente Hemingway, Dos Passos, Fitzgerald, Ezra Pound à Paris, chez Gertrude Stein qui les baptise :
« Vous êtes tous une génération perdue »
Ernest Hemingway (1899-1961) enfourche lui aussi l’ambiance guerrière régnante. Viriliste, il pose en tueur de lions, de boches, de taureaux, de fascistes… vrai ou faux ?
John Steinbeck (1902-1968) est un enfant de la crise de 1929, il décrit la misère du monde paysan frappé par la famine. Pour Edgar Hoover, le patron du FBI, il faut être communiste pour avoir écrit Les raisins de la colère…
Tennessee Williams (1911-1983) est surtout connu pour ses pièces de théâtre. Son tramway nommé désir fonctionnait à la vapeur mais il resta discret. Ce n’est que dans ses nouvelles qu’il évoque son homosexualité. Ses pièces traitent de drames familiaux. Il n’acceptera jamais que sa mère ait ordonné la lobotomie de sa sœur adorée.
Un poète inspiré par le jazz
Jack Kerouac (1922-1969) nous emmène sur ses routes, et déroutes. Au bout de trois semaines et moult amphétamines, il écrit un tapuscrit sur un rouleau de 36 mètres de long : Sur la route… Avec Allen Ginsberg et William Burroughs il est un pilier de la Beat génération – le mot “beat” faisant allusion au battement du jazz bebop. Son cocktail préféré fut composé de sexe, de drogue et d’alcool agrémentés d’un zeste de spiritualisme bouddhique. En bon alcoolique, il décède d’une hémorragie digestive à l’âge de 47 ans.
Truman Capote (1924-1984) est mal aimé par ses parents, toute sa vie il souffrira d’abandonnisme. Sa mère le traite de « tapette », elle ne croit pas si bien dire. Dans ses romans ouvertement homosexuels, il lutte contre l’anticonformisme. Grâce à sa notoriété, il pénètre les milieux les plus huppés, c’est pour les mettre à jour : se venge-t-il sur d’autres de l’abandon de ses parents ? Il dévoile l’homosexualité de Marlon Brando qui n’en revient pas. Dans son roman à clés, Prières exaucées, trop de riches personnes se reconnaissent. Ann Woodward se suicide : elle s’est reconnue dans le personnage qui assassine son mari. C’en est trop… À 59 ans, volontairement ou non, il meurt d’une overdose de barbituriques
Flannery O’Connor (1925-1964) connaît un tout autre destin. Née catholique dans un milieu sudiste évangélique, elle subira toute sa vie la rigueur religieuse de sa mère. Pendant trois ans, elle assiste à la lente destruction de son père. Elle a seize ans quand son père décède d’une maladie auto immune : le lupus érythémateux. Huit ans plus tard elle est atteinte du même mal. Jusqu’à sa mort, handicapée, elle vivra avec sa mère dans une ferme retirée, il ne lui reste que l’écriture à vivre… Pieuse et prude par obligation, elle se délecte des romans noirs qu’elle écrit, où ses personnages sont parfaitement antipathiques, incapables de nouer une relation, et s’adonnent à toutes sortes de perversions, de viols et d’assassinats…
En 1958, sa mère l’emmène à Lourdes, mais le miracle ne se produit pas. Elle s’éteint à l’âge de 39 ans
Si tous n’étaient pas toxico, tous étaient alcooliques
… sauf Flannery O’Connor, trop malade pour cela ?
On pourrait penser que les auteurs sacrifient trop facilement au mythe de l’auteur maudit. Et pourtant : la guerre de 14-18 puis la crise de 29, la prohibition de l’alcool et le puritanisme, la paranoïa anticommuniste, le racisme, sans parler de la furia libérale capitaliste, contribuèrent à frapper tout individu sain de corps et d’esprit. Un des mérites de cette BD consiste justement à resituer chacun des dix auteurs choisis dans l’Histoire… avec une grande hache.
Mathias Lair
Catherine Mory (Auteur), Jean-Baptiste Hostache (Dessinateur), Il était une fois l’Amérique — Une histoire de la littérature américaine – tome 2 Le XXe siècle, Les Arènes, septembre 2024, 243 pages, 29,90 euros