A la recherche des phéniciens, mythe et identité

A la recherche des phéniciens, défendre la cause d’un peuple

On leur attribue la création de l’alphabet, des qualités de navigateur (ils seraient allés jusqu’au Brésil !) et de commerçants, la fondation de Carthage, grande rivale de Rome. Les auteurs grecs et la bible les citent abondamment mais au fond qui étaient les phéniciens ? À cette question, Joséphine Crawley Quinn, archéologue et professeur à l’université d’Oxford, va répondre dans A la recherche des phéniciens par une autre : les phéniciens ont-ils vraiment existé en tant que phéniciens ?

Dans le regard des grecs

Le mot « Phénicie » est une traduction du mot grec « Phoinike » et rassemble un grand nombre de cités-états comme Tyr ou Sidon dont étaient originaires des marins, des commerçants (et aussi des colons) que les grecs croisaient partout, y compris à Athènes même ou à Rhodes. De fait, si on suit Joséphine Crawley-Quin, les grecs ont aidé à définir un ensemble de populations aux liens plutôt relâchés. Habitant une partie du territoire de l’actuel Liban, ceux qu’on désigne comme phéniciens avaient des dieux en communs (Melqart, Baal) mais rivalisaient les uns avec les autres. L’absence quasi-totale de littérature phénicienne ou « punique », ce terme renvoyant à Carthage (on va y revenir) n’aide pas la recherche.

Quant aux nombreuses inscriptions, elles témoignent de l’étendue « civilisationnelle » phénicienne mais pas de son unité ni de son identité. Mais — il y a toujours un « mais » —, il reste que quelque chose unit ces gens du passé.

Carthage, la ville rêvée des phéniciens

Fondée par des colons originaires de la région, peut-être originaires de Tyr, la cité de Carthage va beaucoup faire pour le rayonnement de ce qui va devenir une civilisation, d’abord sous influence grecque puis sous domination romaine. D’abord les carthaginois, colons en terre étrangère, vont affirmer leur identité culturelle, y compris avec la pratique des Tophets et des sacrifices d’enfants. Ensuite, la cité va rayonner sur la méditerranée occidentale jusqu’au IIe siècle, absorbant dans son aire d’influence les autres cités fondées par des phéniciens. Ensuite, sa chute finale en 146 ne détruira ni la langue dite « punique », ni la religion : saturne africain est bien une variation du Baal carthaginois.

Quant à la langue, elle perdure en Afrique du nord dans les royaumes numides et aussi dans l’Afrique proconsulaire : Saint Augustin, un natif, témoigne de la persistance de la langue punique. En Orient naît aussi un sentiment culturel phénicien selon notre auteur grâce au regard des grecs et des romains. L’empereur Septime Sévère, originaire d’Afrique et mariée à une syrienne, démontre aussi à quel point l’empire romain se voulait multiculturel (peut-être le seul exemple à ce jour d’une construction politique pérenne de ce type).

A la recherche des phéniciens est en tout cas un ouvrage réfléchi, passionnant, érudit qui prête à la discussion. 

Sylvain Bonnet

Joséphine Crawley Quinn, A la recherche des phéniciens, traduit de l’anglais par Philippe Pignarre, préface de Corinne Bonnet, La Découverte, août 2019, 408 pages, 25 eur

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