Là où gisait le corps, grandeur d’Ed Brubaker
Ed Brubaker est un remarquable scénariste du comics américain, autant à l’aise avec les super héros (X-men Deadly Genesis) qu’avec le polar. Dans ce dernier genre, en équipe avec le dessinateur Sean Phillips, il a donné quelques pépites comme Criminal, la série Reckless ou Fondu au noir, tous publiés chez Delcourt. Le tandem revient ici avec un nouvel album, Là où gisait le corps.
Le mort accidentel révèle les secrets du quartier
Nous voici dans une petite ville américaine, Pelican Road, en 1984. Une ancienne pension est désormais squattée par des jeunes drogués. Un jour, la jeune Karina est frappée par son petit ami tandis que Tommy essaie de s’interposer. Tommy est en train de dérouiller quand surgit un flic, Palmer Sneed, qui chasse l’agresseur. Palmer est remarqué par Toni Melville, une femme mariée qui veut tromper son mari et entame une liaison fougueuse avec lui. Karina et Tommy se rapprochent, sans que Karina renonce à flirter avec untel et untel, et puis il y a la came bien sûr. Les trottoirs de la ville sont parcourus par Lila, une jeune asiatique qui s’est fait un costume de super-héroïne (et qui est amoureuse de Tommy). Lila observe le quartier avec l’aide de Ranko, un sans-abri vétéran du Vietnam. Tout ce beau monde vit des apparences : Lila n’est pas une super-héroïne, Palmer n’est pas flic et se sert du badge de son père et Toni ne l’aurait jamais remarquée sans ça… Arrive un privé à la recherche de Karina. Il frappe aux portes et pose des questions. Sa mort déclenche une série d’évènements qui marquera tout le quartier…
Un récit formidable
Avec Là où gisait le corps, Brubaker réexamine le passé, peut-être le sien tout en s’inscrivant dans le genre du roman noir ET du film noir (Richard Fleischer avait ainsi livré avec Les inconnus dans la ville le plus fin des exercices d’observation d’une petite ville américaine avant que surgisse le crime). Brubaker livre un récit brut, ancré dans le passé, alternant les points de vue (une récurrence chez lui). Le crime, accidentel, sert ici de révélateur à la réalité des personnages. On pourrait accuser Brubaker d’un certain moralisme lorsqu’il dévoile le destin des personnages (un moment d’ailleurs émouvant concernant Karina et Tommy) mais c’est faux : il veut juste apporter le témoignage des méandres de la vie. Pas de spectaculaire ici. Le dessin de Sean Phillips est juste idéal, accordé au récit proposé par Ed Brubaker. Conclusion : c’est un album magistral.
Sylvain Bonnet
Ed Brubaker & Sean Phillips, Là où gisait le corps, traduit de l’anglais par Doug Headline, Delcourt, mai 2024, 144 pages, 17,95 euros