Parker – La Proie, une bande dessinée de Doug Headline et Kieran, d’après l’œuvre de Richard Stark

Faut-il disserter sur cette tendance actuelle qui consiste à tout (re)traiter ou presque sous la forme d’une bande dessinée ? À vrai dire, la manie de transposer un sujet d’un genre à un autre n’est pas vraiment nouvelle. Liszt a écrit son poème symphonique Mazeppa à partir d’un poème de Victor Hugo, et pour donner simplement un autre exemple, cinématographique celui-là, mais antérieur de plus d’un siècle aux productions Marvel, le fameux Arroseur arrosé des Frères Lumière est très probablement inspiré d’une courte bande dessinée de Christophe (l’auteur de La Famille Fenouillard et du Sapeur Camember). Disons que la prolifération de ce type de « recyclage » aujourd’hui est peut-être due à une certaine frustration face à la masse d’images qui nous entourent : celles-ci présentent de plus en plus le défaut de bouger. La bande dessinée, genre dans lequel tout l’art consiste à suggérer le mouvement à partir d’images fixes, s’impose donc comme un moyen terme, un chaînon manquant entre la littérature et le cinéma. Et c’est pourquoi elle peut sans doute très naturellement s’immiscer dans le couple roman noir/film noir.

Après avoir adapté avec le dessinateur Max Cabanes plusieurs romans de J.-P. Manchette, Doug Headline, cette fois-ci avec la complicité de Kieran, est allé chercher l’inspiration dans l’œuvre de l’Américain Richard Stark pour un album intitulé Parker (et sous-titré La Proie). Ledit Parker, héros de plus de vingt romans, a déjà été incarné au cinéma à maintes reprises, officiellement ou officieusement (par exemple dans Le Point de non-retour de John Boorman ou, de manière un peu plus inattendue, dans le Made in USA de Godard). Il fait son entrée dans le monde des phylactères à travers une histoire dont le point de départ est d’une simplicité biblique, à ceci près que les personnages en présence sont loin d’être des enfants de chœur. Tout commence donc par un casse, conçu, orchestré et dirigé par Parker. Opération réussie, mais, quand vient le moment de partager le butin, le petit nouveau recruté pour l’occasion dans le groupe de malfrats fait un rapide calcul mathématique et se dit que sa part sera nettement plus importante s’il liquide tous les autres. Aussitôt dit, aussitôt fait… à une exception près – Parker. Et donc, Parker est vraiment colère et décide de retrouver le traître pour le lui faire savoir. Toute la première partie du récit est construite sur le schéma marabout-bout de ficelle-selle de cheval : Parker remonte une filière. A le renvoie à B qui le renvoie à C qui… Mais, peu à peu, cette progression linéaire, verticale, se complique, dans la mesure où des liens horizontaux apparaissent entre C et D ou E et F, qui ne sont pas forcément amicaux. Disons-le franchement : on se surprend parfois à revenir en arrière dans la lecture du dernier tiers de l’album, puisqu’on se perd un peu dans la galerie des différents personnages, mais cette confusion n’est autre que celle dans laquelle Parker lui-même se retrouve.

Doug Headline a choisi judicieusement d’accorder une place importante au texte narratif, ce qui n’est pas sans rappeler la voix off des films noirs, mais la narration, énoncée dans un style très littéraire – Parker est sans doute l’une des très rares bandes dessinées où l’on ne craint pas d’employer l’imparfait du subjonctif –, est à la troisième personne, comme pour montrer que c’est quelque instance qui, là-haut, tire les ficelles et qu’en tout cas, Parker n’est que très partiellement maître de son destin. Parallèlement, le dessin, légèrement caricatural, n’est ni en noir et blanc, ni en couleur, mais en vert (sombre) et blanc.

Quant à la conclusion de l’histoire, elle est aussi en clair-obscur : elle n’est pas franchement comique – comment pourrait-elle l’être après les meurtres qui émaillent la quête de Parker ? –, mais il ne faut pas oublier que Richard Stark n’est autre que l’un des pseudonymes de Donald Westlake, dont l’univers n’a jamais été totalement sérieux (voir par exemple le film Les Quatre Malfrats ou le roman Comment voler une banque, où le jeu consiste à voler l’immeuble même de la banque). Disons que la morale est sauve, puisqu’elle est absurde. Cette symphonie volontairement inachevée semble garantir que Parker will be back.

FAL

Richard Stark/Kieran/Doug Headline, La Proie, Dupuis « Aire noire », mars 2025,112 pages, 20,50 euros

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