Caryl Férey, Magali, un féminicide
Il suffit d’un rien pour qu’un fait divers vous touche personnellement. Pour Caryl Férey, c’est le meurtre de Magali Blandin, parce qu’il a lieu dans la bourgade bretonne où il a grandi. C’est l’occasion pour lui de retourner comme en pèlerinage à Montfort-sur-Meu pour que cette femme existe et ne soit pas un féminicide de plus. Magali sera sa grande affaire personnelle.
« C’était un homme ordinaire qui avait commis un acte barbare. »
42 ans, Magali Blandin est mère de quatre enfants, tous issus de son mariage avec Jérôme Gaillard. Ayant demandé le divorce, lassée par les incartades de son mari et par sa violence physique et psychologique, elle déménage à quelques kilomètres de la maison familiale, à Montfort-sur-Meu donc, non loin de Rennes. Elle y vit si discrètement que personne ne semble la connaître, et qu’aucun témoignage ne pourra être recueilli par les enquêteurs. Elle dépose ses enfants à l’école, part travailler à Rennes, rentre. Son seul plaisir semble être un jogging matinal. Quelques temps à peine après celle de Delphine Jubilar, la disparition de Magali inquiète la population, et la peur de sortir le soir transforme un temps ce pays tranquille où rien ne se passe (sinon un curé pédophile…).
[…] il avait des failles narcissiques importantes ; il a commis non pas un crime d’amour mais un crime d’amour-propre. Jérôme était conscient de son égoïsme, ma sa seule façon de supporter le départ de sa femme, c’était de la tuer ou de la récupérer. Sauf que Magali était claire sur ce dernier point : elle ne l’aimait plus.
L’affaire est depuis connue : le mari qui échafaude un plan malhabile pour tuer sa femme, s’entourant de complices douteux (des mafieux géorgiens, qui finissent par le faire chanter… on ne se refait pas) et obtenant le soutien moral et matériel de ses propres parents. Il passe aux aveux, se suicide en prison après trois semaines de grève de la faim, parce que ses parents sont emprisonnés également. À l’anniversaire de la mort de Magali, les parents se suicident à leur tour, incapables de survivre plus longtemps sous le poids de la culpabilité et après la perte de leur deuxième fils, mort pour une femme comme son aîné…
Dire tout le possible de soi et de l’autre
Magali est vraiment en deux temps. D’abord la recherche d’éléments pour comprendre qui était Magali et ce qui lui est vraiment arrivé. Le second, ensuite pour se comprendre soi-même et comprendre cette époque qui permet d’engendrer au sein des familles ce genre de monstruosité. Tout bascule quand Caryl Férey rencontre enfin des fait-diversiers qui veulent bien lui parler et lui confier les archives de leurs enquêtes. Ce temps coïncide avec ce que l’on sait déjà de l’affaire, il n’y a pas d’apport particulier par rapport au dossier sinon la discussion avec l’avocat de Jérôme Gaillard, mari de Magali, et son assassin.
Le style rappelle celui des papiers du Libé des années 80, assez décontracté et portant plus sur le rédacteur que le sujet. En effet, retourner à Montfort-sur-Meu enquêter sur les lieu du crime de Magali Blandin, c’est aussi retourner sur la ville de son adolescence. Et faire le point sur lui-même. Le style est volontiers direct, plutôt engagé (contre les Robocop de Darmanin, par exemple) et souvent drôle, même si l’abus de surnoms lasse un peu (Pharma Stoïque la pharmacienne, Affaire Sensible l’avocat, Mitraillette Passionnée la journaliste, etc.). On suit l’homme qui retrouve les reliefs de sa jeunesse dans la modernisation de la ville où il a fait les 400 coups, où il a appris l’amour des femmes et la bêtise des hommes.
Magali est le regard d’un homme qui a bourlingué de part le monde pour construire des histoires, inventées, et que le réel percute de plein fouet. Son apport à la connaissance d’une femme, qui est victime parce que femme. Une manière personnelle de lui rendre hommage.
Loïc Di Stefano
Caryl Férey, Magali, Robert Laffont, « La Bête noire », août 2024, 277 pages, 19 euros