Ernst Röhm, l’homme qu’Hitler voulait effacer
Maître de conférences à l’université de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, spécialiste du national-socialisme, Eleanor Hancock a choisi de consacrer une biographie à un personnage controversé du nazisme et des débuts du IIIe Reich : Ernst Röhm, chef de la SA, assassiné en 1934 lors de la nuit des Longs Couteaux. Son itinéraire est en fait étonnant.
Un soldat perdu… et homosexuel
Röhm, né en Bavière, est élevé principalement par sa mère. Sincèrement attaché à la monarchie bavaroise, le jeune Röhm choisit une carrière d’officier au sein de l’armée du royaume. Affecté à Ingolstadt, il se morfond un peu dans sa vie en garnison. Il y a les bals, les jolies filles et les prostituées bien sûr mais il cache un secret : si les femmes ne le dégoûtent pas, il préfère sexuellement les hommes. Un secret qu’il garde pour lui, pour le moment. Bientôt la guerre éclate, une belle occasion pour lui de se couvrir de gloire. Blessé et défiguré (il garde des cicatrices au niveau du nez toute sa vie), il ne reçoit cependant pas la médaille de l’ordre militaire de Maximilien-Joseph à laquelle il aspirait. A cause de son caractère ? De certaines rumeurs ? Cela pèse lourd sur ses épaules même s’il donne satisfaction dans ses affectations, à l’état-major par exemple. Très bon organisateur, Röhm fait un très beau parcours… jusqu’à la défaite, l’effondrement de l’Empire allemand et la Révolution. Tout son monde s’écroule alors qu’il souffre de la grippe sur un lit d’hôpital.
Baroudeur et nazi
Notre personnage entame alors une lente dérive vers les milieux völkisch de l’extrême-droite allemande, tout en restant loyal toute sa vie à la famille royale bavaroise. Loyal envers Ludendorff, il rejoint le NSDAP et devient l’ami d’Hitler. Après avoir quitté l’armée, il s’investit dans le parti, participe au putsch de 1923. Cependant sa vie « dissolue » gêne certains. Röhm part en Bolivie travailler comme instructeur. A son retour, il reprend la tête de la SA. C’est un dur du national-socialisme… et une cible de choix à cause de son homosexualité qu’il ne cache plus depuis longtemps. Les milieux conservateurs le prennent en grippe, aidé par la presse de gauche, et la SS se méfie de lui. Après l’accession d’Hitler à la chancellerie, ses nombreux ennemis intriguent auprès du Führer qui, longtemps, se moqua de l’orientation de Röhm qu’il appréciait. Il s’avère que la thèse selon laquelle il incarnait une option « révolutionnaire » du nazisme ne tient pas. Fut-il cependant offert en sacrifice aux militaires ? Ou Goering et Himmler ont-ils voulu se débarrasser d’un rival ? Cette biographie essaie de poser les termes du débat. Intéressant.
Sylvain Bonnet
Eleanor Hancock, Ernst Röhm nervi, dauphin, rival, traduit de l’anglais par Anne-Sophie Anglaret, Perrin, août 2023, 416 pages, 23,50 euros