Empire des chimères, cauchemar sanglant d’Antoine Chainas

Romancier et traducteur

 

Découvert par Aurélien Masson, Antoine Chainas a été publié dans la prestigieuse Série noire dès 2007 avec Aime-moi Casanova, puis Versus en 2008. S’il vend moins qu’un Caryl Férey, il ne décroche pas moins avec Pur le grand prix de la littérature policière en 2014. On lui doit aussi un Poulpe savoureux, 2030 L’odyssée de la poisse (Baleine, 2010), ainsi que des traductions : Plein gaz de Joe Hill et Stephen King (Jean-Claude Lattès, 2013), Sauvagerie de Matthew Stokoe (Gallimard Série noire, 2015) ou encore Avant la chute de Noah Hawley (Gallimard Série noire, 2018). Avec Empire des chimères, Chainas livre un roman très ambitieux, on va vite le voir.

 

Portrait d’une époque en mouvement

 

Nous sommes en 1983 dans le petit village de Lensil. Une fillette nommée Edith disparaît, suscitant la colère et l’effroi de la population, sans compter des parents effondrés. Le garde champêtre, Jérôme, ancien de la guerre d’Algérie, entreprend de mener sa propre enquête. Il rencontre les familles, les enfants. Parmi eux, Julien, un jeune ado fan avec ses copains d’un jeu de rôle nommé « Empire des chimères », qui les aide à passer leurs après-midi :

 

Dépêche-toi, Eddy, remue les pattes si tu veux vivre ! / — Emmenez-moi… Aux épouvantables terres. Chez Oscar. / — Mais Oscar n’existe pas. C’est une légende. Et les terres qui lui appartiennent font également partie du folklore. Il n’y a pas d’autre pays que Simplicité. »

 

Pendant ce temps, un natif du pays, Henri Davodeau (frère de l’agent immobilier Denis, qui le jalouse), négocie, au nom d’un pouvoir mitterrandien en quête d’emplois, la venue d’un groupe américain à Lensil pour y installer un parc d’attractions. Ce groupe, dirigé par Frank Forelong, est celui qui a commercialisé le jeu « Empire des chimères ». Forelong a d’ailleurs mandaté son ami Jessenberg pour mettre au monde la nouvelle version du jeu, malheureusement encalminé depuis que son concepteur a eu une crise de folie meurtrière. Il se passe de plus en plus de choses étranges à Lensil et personne ne retrouve Edith.

 

Un roman-monstre

 

Difficile de résumer Empire des chimères, à la fois roman noir et roman d’une époque, avec un glissement progressif vers le fantastique (où est-ce le fantastique qui vient contaminer le roman noir via le jeu de rôles ?). On y voit le portrait d’une France rurale, en plein changement, à un moment où la gauche au pouvoir choisit l’opium du marché néolibéral, oubliant ainsi les illusions du programme commun. On y voit aussi des personnages blessés, fragiles, comme Jérôme le garde champêtre (mais il y en a plein d’autres). Empire des chimères est complexe, difficile à apprivoiser. Mais, soyons clair, il s’agit un coup de maitre, on devra compter à l’avenir avec Antoine Chainas, auteur inclassable et aussi attachant.

 

Sylvain Bonnet

 

Antoine Chainas, Empire des chimères, Gallimard, « Série noire », septembre 2018, 672 pages, 21 euros

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