Les enchanteurs “pourrissants” de James Ellroy

Les adulateurs ont entonné leur chant : encore une fois James Ellroy dissèquerait encore et toujours le grand cadavre du rêve américain. Pour Antoine Albertini, « Ellroy affûte son scalpel et crève les abcès d’un Hollywood en plein âge d’or finissant, capitale du vice en voie de décomposition avancée ». Notre auteur serait donc un grand et prude dénonciateur des turpitudes. Voici « un roman obsédant et halluciné », a-t-on dit… Halluciné peut-être, si l’auteur suit l’exemple de son personnage principal, Freddy Otash, bourré d’amphét’ & cie. 

Pour ceux qui aiment le trash

Que se passe-t-il dans ce roman? Nous sommes à Los Angeles, en 1962. Voilà ce qu’Ellroy dit de l’époque : « « j’étais obsédé par les filles, les femmes, les actrices. J’avais 14 ans en 1962, j’achetais des romans semi-pornographiques chez le marchand de spiritueux ». Marilyn Monroe vient de succomber à une overdose, Gwen Perloff est kidnappée. Ellroy l’avoue : « Je ne me suis jamais remis des femmes, je ne me suis jamais remis de la sexualité » Est-ce pourquoi il décrit Marylin Monroe comme peu profonde, stupide et cupide ? « C’était une emmerdeuse colossale », telle est sa condamnation.

En vue d’enquêter sur ces deux affaires, le Chef de la police, Bill Parker, fait appel à une éminence grise d’Hollywood, Freddy Otash, un flic défroqué, voyeur compulsif, camé notoire. « Ce Freddy Otash, raconte Ellroy, je l’ai créé de toutes pièces. Il est le réceptacle de mes obsessions, du voyeurisme à la drogue en passant par les femmes ». Ce qui ne l’empêche pas de déclarer par ailleurs qu’il a connu l’homme, « l’un des plus grands connards que j’aie jamais rencontrés ». On rencontre dans ce roman pas moins de 70 personnages, la plupart inspirés de personnes réelles dont notre auteur conserve les noms, tant pis s’il les salit ! Tel Bill Parker, qualifié dans le livre d’ivrogne et d’avocat brillant…

Un chrétien en croisade

C’est que notre auteur est en croisade, au nom du Dieu qui le guide, la preuve : « J’ai juste reçu un don de Dieu pour l’écriture. », a-t-il dit. A-t-il reçu de lui la mission de purifier notre monde ? Tant pis si, en bon confesseur, à force de fréquenter ls pires péchés, il finit par en goûter la saveur. Il est contre les turpitudes, tout contre… « Je pense que la réponse est Jésus-Christ. Je pense que tout vient de Jésus-Christ et doit revenir à lui. » : tel est son credo.

Interviewé par Macha Séry, il déclare : « Il faut choper le lecteur par les couilles dès le premier chapitre ». Pour gagner sa croûte, dit-il ailleurs, il lui faut faire dans le roman populaire (voire populiste ?). La recette ? De la baise, de la violence, de la drogue et des personnages célèbres, que ça attire le chaland. Plus une dose de travail… de bénédictin ? Telle serait la mission de notre chrétien impénitent… Le livre entasse une mine d’anecdotes qui se veulent croustillantes. De roman en roman le style d’Ellroy a évolué. Désormais, il choisit des phrases courtes dénuées d’adjectif. Un sujet, un verbe et un complément, le tout au présent. Ce qui produit un effet d’accélération en harmonie avec l’univers dans lequel il nous plonge. Il n’empêche : devant un tel amas, le lecteur se trouve engoncé.

Pourquoi une telle violence chez cet auteur ? Un tel dégoût du monde ? Ellroy vomit la psychanalyse, ce « concentré d’égocentrisme absolument antichrétien », pourtant il lui fait cette concession : «Bien évidemment, c’est ma scène œdipienne : quand j’avais dix ans, ma mère a été tuée, le crime n’a jamais été élucidé ». Soit l’époque où se déroulent souvent ses romans… Ses romans seraient-ils un ressassement de ce traumatisme, dont il ne pourrait pas sortir ? Son seul motif de jouissance inversée ? Auquel cas, de les avoir comprises, on serait prêt à l’excuser de ses errances.

Mathias Lair

Post scriptum : interviewé par Macha Séry, Ellroy lui interdit, en préalable à l’entretien, d’évoquer Donald Trump et sa politique. Est-ce par prudence ? Ou, parce que, prophète en son pays, Ellroy nous fait jouir en littérature des mêmes inconvenances ? Puisque, réflexion faite, l’univers d’Ellroy se révèle en parfait accord avec celui de Trump. Je dirais même qu’il nous y entraine, dans tous les sens du mot…

James Ellroy, Les enchanteurs, traduit de l’anglais par Sophie Aslanides et Séverine Weiss, Rivages/noir, septembre 2025, 668 pages, 12,50 euros

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