« En même temps » – Quand Jean de La Fontaine raconte Emmanuel Macron

La 4e de couv’ nous promet « Un livre décapant. Un livre hilarant. Un livre éclairant. » C’est assez vrai pour les premières pages. Mais, passé la page 30, au moins deux autres qualificatifs s’imposent : « Un livre déplaisant. Un livre assommant. » On ne va pas disserter ici sur la question de savoir si l’on peut ou non rire de tout, mais évoquer — comme le fait Dominique Folscheid — la mort de Samuel Paty sur un ton quelque peu badin n’est pas forcément une marque de bon goût.

Or donc, de quoi s’agit-il au juste ? L’ouvrage s’intitule « En même temps », et a pour sous-titre Quand Jean de La Fontaine raconte Emmanuel Macron. Soit. Si l’on admet — même si c’est sans doute aller un peu vite en besogne — que le macronisme est tout entier résumé dans cette formule « en même temps », l’idée de l’étudier à travers le spectre des fables était très judicieuse, car on ne saurait trouver plus ambigu, plus contradictoire que La Fontaine — c’est d’ailleurs ce qui permet à son œuvre de ne rien perdre de sa force à travers le temps. Ceux qui virent il y a une quarantaine d’années l’Apostrophes que Pivot avait consacré au fabuliste se souviennent encore des joutes qui opposaient les différents intervenants sur le sens à donner à ses « morales ». Bien malin en effet qui peut dire comment il convient d’interpréter une formule telle que « Selon que vous serez puissant ou misérable,/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Dénonciation d’une injustice et donc incitation à la révolte (à la révolution, même…), ou constatation d’un état de fait contre lequel il est vain de se dresser et donc incitation à la soumission ?

Si l’on veut un autre exemple, tout aussi célèbre, prenons « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. » A-t-on bien mesuré l’ambiguïté de cet il faut ? Est-ce une injonction, un conseil donné à ceux qui entendent réussir dans la vie, une obligation morale ? Mais n’est-ce pas aussi la constatation sans illusion d’une anankè, en tout cas d’une fatalité sociale, sinon métaphysique, à laquelle on ne peut rien changer ? La tortue part à point parce qu’elle a déjà avec elle sa maison, autrement dit ses remparts : elle ne risque rien. Elle est prête à toute heure : avant même de partir, elle a atteint son but. Fille de noble (issue d’une maison), elle est noble dès la naissance. Le lièvre, lui, est condamné à être éternellement en cavale, car on peut gager que, même s’il s’avisait de gagner cette course contre la tortue, les chiens alliés d’icelle continueraient de lui faire arpenter les landes.

Allez, une petite dernière, mais d’une ambiguïté moins déprimante. « La raison du plus fort est toujours la meilleure. » Rien ne prouve définitivement, puisque la fable est le royaume de la métaphore, que le plus fort soit le loup. Le loup, certes, est le plus fort physiquement. Mais, intellectuellement et moralement, ne serait-ce point l’agneau ? Bien sûr, celui-ci meurt dévoré par le loup, mais cet animal plein de rage a éprouvé le besoin d’aller accomplir son crime « au fond des forêts » parce que quelque chose en lui, malgré toute sa rhétorique et même s’il n’a pas lu Montesquieu, lui dit que ce qu’il fait n’est pas bien. La 4e de couv’ ferait mieux de ne pas poser que les morales des fables « sont autant de trésors de bon sens ». Elles sont à vrai dire très proustiennes, ces fables, puisqu’elles aident chaque lecteur à être le lecteur de lui-même, mais tous les lecteurs n’iront pas pour autant dans le même sens.

En cette période pleine d’incertitudes qui est la nôtre, La Fontaine pouvait donc être un outil appréciable pour, sinon simplifier les choses, du moins en bien percevoir la complexité. Mais Dominique Folscheid suit une démarche quelque peu poujadiste qui fait qu’on ne sait pas très bien à qui il s’adresse et quel but exactement il vise. D’abord, il y a quelque chose qui cloche dans ses références aux fables. Il ne les cite jamais in extenso, ce qui peut se comprendre, et la plupart du temps, il les résume, mais d’une façon telle que ceux qui les connaissent ont l’impression de perdre du temps, et que ceux qui ne les connaissent pas doivent souvent se demander de qui exactement il est question. Ensuite, il y a quelque chose qui cloche plus encore dans les thèmes abordés : le corpus est si vaste, si global, que La Fontaine est souvent relégué au fond du jardin pendant des dizaines de pages. Même si, comme on nous le dit au détour d’une phrase, cet épais pamphlet n’entend pas tant raconter Macron que la France de Macron, le lecteur moyen ne verra pas vraiment l’intérêt de se cogner des paragraphes et des paragraphes – dans l’inévitable chapitre sur le COVID — sur la manière dont naît et se propage un virus et — cerise sur le fardeau — sur le fait que ce mot virus peut aussi s’appliquer métaphoriquement aux méchantes e-bêtes qui viennent saboter le bon fonctionnement de nos ordinateurs. Macron a-t-il quoi que ce soit à voir avec cela ? La France de Macron, alors ? Les virus sont sans doute, comme on dit aujourd’hui, un sujet, mais en quoi ce sujet est-il spécifiquement gaulois ?

« En même temps » est donc un ouvrage à consommer avec beaucoup de modération, drôle parfois, indubitablement, mais aussi étouffant, comme ces labyrinthes dans lesquels on entre pour s’amuser, mais où l’on finit par se sentir prisonnier.

FAL

Dominique Folscheid, « En même temps » – Quand Jean de La Fontaine raconte Emmanuel Macron, Éditions du Cerf, juin 2024, 336 pages, 24 euros

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