Entretien avec Claude Rodhain : « Je ne suis ni un procureur, ni un justicier »

C’est le ministre de la justice d’alors, Rachid Dati, lors de la remise au récipiendaire des insignes de Commandeur dans l’Ordre National du mérite, qui souligna combien Claude Rodhain est un personnage atypique. Dessinateur, technicien, ingénieur, Conseil en propriété industrielle, avocat, romancier, l’itinéraire de Claude Rodhain ne cesse d’étonner. Son parcours, il l’a raconté dans un premier ouvrage Le destin bousculé, paru en 1986 chez Robert Laffont. L’éditeur écrira d’ailleurs de sa main : « Rage au cœur, pieds en sang, cœur à la dérive, il enjambe les montagnes accumule les succès, force la réalité à rejoindre la fiction, avec toujours, ce désir fou : impressionner, conquérir cette mère qui l’a abandonné. » Énorme succès. Depuis, Claude Rodhain n’a de cesse d’écrire. Voici un roman qui se place au cœur de l’actualité. Préfacé par le cinéaste Patrice Leconte, il raconte l’histoire d’une enfance ravagée par le viol. Je suis allé à la rencontre de l’auteur. Compte-rendu.

Marc Alpozzo : Votre nouveau roman, qui est déjà le 12ème, Le destin d’une enfant violée (Editions Le Sémaphore, 2022), raconte l’histoire sordide de Louise, qui a été violée à l’âge de neuf ans par son père. Depuis, elle déteste son corps, puisqu’il lui rappelle sa détresse. C’est donc grâce à un tiers, Paul, qui est un jeune homme compréhensif et attentionné, qu’elle trouvera une forme de renaissance, voire une naissance à la vie. En pleine période #Metoo, est-ce que ce roman est une manière pour vous d’apporter votre solidarité à toutes les victimes de violences sexuelles ?

Claude Rodhain : Oui ! C’est une façon pour moi de dénoncer le harcèlement sexuel, le viol et de combattre, à mon humble niveau, s’entend, ceux qui font actuellement la Une des journaux. Je ne suis ni un procureur, ni un justicier, encore moins un redresseur de torts, mais un simple citoyen qui tente à sa manière d’éveiller les esprits à ce fléau de plus en plus fréquent.

M. A. : On trouve dans ce roman une volonté farouche de « purifier » le corps. Est-ce que cela n’a pas un lien finalement avec l’époque. Nous sommes pris en otages du mouvement #Metoo et de la cancel culture. Ne pensez-vous pas que l’époque cherche à purifier les corps et les esprits, à purger le mal, même si c’est de manière très maladroite ?

C. R. : Ici, purifier le corps est l’instrument de Louise pour se débarrasser de la souillure qui macule son corps, mais je partage aussi votre sentiment sur la cancel culture et le mouvement Metoo.

M. A. : Que pensez-vous de l’« affaire Matzneff », suite à la publication du récit de Vanessa Springora (Le Consentement, Grasset, 2020), alors que la police a cherché désespérément des victimes de l’écrivain, durant deux longues années, sans en trouver une seule ? Pensez-vous que cette notion nouvelle de « consentement » soit pertinente dans une affaire de mœurs, où les deux protagonistes s’aimaient librement ?

C. R. : Le viol est un crime, au sens pénal du terme. Il doit être, selon moi, être apprécié avec justesse et réflexion, tant il est souvent difficile de démêler le vrai du faux. Comment juger du consentement, ou non, de celle ou celui qui se dit victime d’un viol ? Où commence le libre consentement. Parfois, la victime est consentante au début de la relation, puis se ravise au cours des ébats. A quel moment cesse le consentement et bascule dans le refus. Le NON est-il un oui déguisé ? La victime espérait-elle une relation violente ? Tant de questions si délicates et si spécifiques à chaque cas.

M. A. : Votre personnage Paul est mystique, il croit aux forces occultes de l’univers, et dit à Louise que leur rencontre était écrite dans la grande destinée du monde, et qu’il était fait pour l’aimer. Au-delà de l’aspect romanesque qui fonctionne dans votre récit, on a le sentiment que vous croyez que les destins se nouent dans le grand théâtre du monde. Croyez-vous que nous soyons prédestinés ?

C. R. Ma foi me conduit à penser que chacun à un destin tracé dans ce que vous appelez « Le grand théâtre du monde ». Oui nous sommes tous, petits et grands, soumis à la loi du grand architecte de l’univers et notre destin est tracé dès notre naissance. Mais on peut influer sur son destin (voir mon autobiographie parue chez Robert Laffont) et mon prochain roman Le temps des orphelins qui sort la semaine prochaine chez City éditions. 

M. A. : Votre roman est moins celui d’un viol que celui de la réparation. C’est au neuropsychiatre Boris Cyrulnik que l’on doit la popularisation du terme de résilience et d’un espoir. Or, il est longuement question de résiliation dans votre récit. Aussi, on constate que la résilience se fait dans la rencontre. Pensez-vous que c’est à travers la médiation d’un autre que nous parvenons à nous reconstruire suite à un drame. A-t-on nécessairement besoin d’autrui selon vous pour mener à bien cette résilience ?

C. R : Je pense que oui ! Ne s’entrouvrir à personne, pas même à un médecin ou un psychiatre, revient à se recroqueviller sur soi, à alimenter une secrète inimitié de soi et à terme, sombrer dans un funeste désarroi. 

M. A. : Le réalisateur très talentueux de Monsieur Hire et de Ridicule vous a accordé une très belle préface. Qu’est-ce qui l’a convaincu ? 

C. R :  Avant tout mon écriture puisqu’il m’a comparé à Jean Teulé qui apprécie grandement.

M. A. : Votre prochain roman s’intitule Le Temps des orphelins, il paraîtra à la fin juin. De quoi parlera ce livre ? Vous semblez vous intéresser particulièrement aux existences bousculées.

C. R : Cette saga familiale est tirée d’une histoire vraie, la mienne. Comment un enfant abandonné au lendemain de la guerre, qui craint de « finir dans un caniveau comme un chat crevé », s’échine à gravir les échelons de l’échelle sociale dans le seul but de séduire celle qui l’a délaissée. C’est la suite de mon autobiographie Le destin bousculé

Claude Rodhain (Auteur), Patrice Leconte (Préface), Le destin d’une enfant violée, Éditions Le Sémaphore, mars 2022, 250 pages, 22 euros

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