Les Lettres de mon Moulinsart, entretien avec Patrice Leconte
À l’occasion de la sortie de son ouvrage Tintin de A à Z, entretien avec Patrice Leconte.
entretien
3 mars 2023 : quarantième anniversaire de la mort d’Hergé. A côté des Tintin apocryphes et illégaux (entre autres des versions revues et terminées de L’Alph-Art) qui pullulent sur Internet, il existe aussi, en tout bien tout honneur, des ouvrages sur Tintin. Patrice Leconte, qui commit lui-même quelques bandes dessinées (dans Pilote) avant de devenir réalisateur de films, rend hommage au héros à la houppe à travers un abécédaire intitulé, comme de juste, Tintin de A à Z.
C’est parce qu’Hergé avait interdit qu’on publie après sa mort de nouvelles aventures de Tintin que vous publiez un ouvrage sur Tintin ?
Patrice Leconte <> On peut trouver un peu mégalo le fait qu’Hergé ait voulu que son héros meure avec lui, mais je pense qu’il a eu raison. C’est très plaisant, ces héros de bande dessinée qui continuent de vivre au-delà de la mort de leur auteur, que ce soit Astérix, Blake et Mortimer ou Michel Vaillant, mais c’est quand même chaque fois un peu moins bien que l’original. Hergé a produit une vingtaine d’albums. Les premiers étaient très primitifs. Les gags n’étaient pas très drôles. Tintin en Amérique ? Tintin au Congo ? Ce sont des albums où il se cherchait. Par la suite, il s’est trouvé. Mais si je dis qu’il est heureux que Tintin n’ait pas survécu à Hergé, c’est parce que les derniers albums étaient plutôt décevants. Vol 714 pour Sydney n’est pas formidable. Tintin et les Picaros n’est pas enthousiasmant non plus. Et quand on voit ce que promettait d’être Tintin et l’Alph-Art, on se dit que c’est peut-être aussi bien qu’il n’ait jamais pu être achevé.
Mon Tintin de A à Z n’est pas du tout un ouvrage de spécialiste. Rien à voir avec ces doctes essais qui vous proposent une interprétation lacanienne des Bijoux de la Castafiore… Disons que c’est un peu comme mon film Maigret, que j’ai tenu à appeler Maigret, pour dire que je proposais « mon Maigret à moi ». Cet abécédaire, c’est mon Tintin à moi, les souvenirs qui me restent. Quand, avant d’écrire ce livre, j’ai acheté, pour me rafraîchir la mémoire, le coffret bleu qui réunit toutes les aventures de Tintin, j’ai trouvé que le charme était toujours là. Flashback sur mon enfance : je continuais à être sensible aux aventures de Tintin comme je l’avais été quand j’étais gamin.
Que pensez-vous du succès des bandes dessinées en France ? Plus de cinq mille titres paraissent chaque année.
Je ne saurais vous dire à quoi est dû cet engouement insensé, mais une chose est sûre : il est réel, sinon les librairies de bandes dessinées ne survivraient pas. Ce qui est un peu dommage, c’est que l’essentiel du chiffre d’affaires des libraires se fasse avec les mangas japonais, qui sont parfois d’une qualité discutable.
Personnellement, je n’ai plus guère de contact avec la bande dessinée. Je n’en achète pas ; j’en reçois un peu… Je regrette la disparition des revues comme Tintin, Pilote ou Spirou. Je me rappelle la joie qui était la mienne quand mon frère et moi allions acheter chaque semaine le nouveau Tintin ou le nouveau Spirou, ou plutôt quand nous les recevions dans le courrier, puisque nous étions abonnés. Aujourd’hui, avec la publication par album, fini le suspense de la dernière case en bas à droite de chaque page. J’admire d’ailleurs ces auteurs qui planchent — c’est le cas de le dire ! — pendant des mois et des mois sur un album et qui, donc, ne distillent plus leurs histoires.
Au cinéma, qu’allez-vous faire après Maigret ?
J’ai plusieurs choses qui se profilent à l’horizon, mais je suis bien incapable de vous dire quel sera mon prochain film et quand je le tournerai. J’attends des réponses… Malgré le succès de Maigret, les choses restent difficiles. Il y a eu un gros projet sur lequel j’ai travaillé longtemps, mais qui est tombé à l’eau alors que le scénario était écrit. Ce que je propose n’a rien d’extravagant et ne relève pas de l’art et essai, mais producteurs et distributeurs sont devenus très frileux, parce qu’il y a trop de films, et trop peu de films qui marchent.
Certains me disent : « Tu devrais faire une série, Patrice… » Ah bon ? Pourquoi devrais-je faire une série ? « Parce que tu vas avoir dix fois une heure pour t’exprimer. » Mais moi, au-delà d’une heure et demie, je flippe ! J’ai toujours voulu faire des films courts. Cela dit, j’ai vu — en particulier quand, avec le confinement, nous étions assignés à résidence — des séries formidables. Il peut arriver qu’il y ait « la saison de trop », mais il y a des séries qui s’épanouissent sur deux saisons, et c’est parfait. Il reste que ce n’est pas ce que j’ai envie de faire. Je veux continuer à faire des films pour les salles de cinéma… ou pour qui voudra !
La retraite n’est donc pas pour vous une préoccupation majeure ?
Personnellement, non ! Si j’avais dû prendre ma retraite à soixante-cinq ans, cela ferait dix ans que je ne ficherais plus rien ! Au Japon, pays que je connais assez bien pour y être souvent allé pour promouvoir mes films, le travail est considéré comme un honneur. Même si vous avez un emploi subalterne. Même si vous êtes caissière dans un supermarché. En France, le travail est considéré comme une calamité, comme un mal nécessaire, et les gens vont au boulot le lundi matin en ayant comme seul objectif le vendredi soir. Bien sûr, j’en parle à mon aise et j’ai parfaitement conscience d’être un privilégié ; bien sûr qu’il y a des travaux qui ne sont pas particulièrement rigolos, mais, même dans ces travaux peu rigolos, je suis sûr qu’il y a moyen de trouver un intérêt à quelque chose – à quelque chose qui rende la journée moins pénible.
L’histoire que je raconte tout le temps et qui m’enchante a pour protagoniste Jacques Brel adolescent. Il ne savait pas trop ce qu’il voulait faire. Et il s’en ouvrait à son père : « Papa, je ne sais pas… » Son père lui a mis la main sur l’épaule, l’a regardé dans les yeux et lui a dit cette phrase que tous les pères devraient dire à tous leurs enfants : « Jacques, plus tard fais ce que tu veux, mais fais-le bien. »
Propos recueillis par Frédéric Albert Lévy
Patrice Leconte, Tintin de A à Z, Éditions Moulinsart/Casterman, mars 2023, 136 pages, 19,95 euros