La Tentation du lac, un roman de Patrice Leconte
Patrice Leconte, c’est bien sûr le réalisateur des Bronzés, du Mari de la coiffeuse, de Monsieur Hire ou de Maigret, mais c’est aussi – on l’oublie un peu – un homme de plume tout aussi divers, auteur, entre autres, d’un abécédaire sur Tintin et d’une demi-douzaine de romans. Le dernier, La Tentation du lac, a pour héros (?) un dénommé Rodolphe Martin, scénariste de son état. Il gagne correctement sa vie en écrivant ses scénarios, mais – le cas est plus fréquent qu’on ne le croit dans le merveilleux univers du cinéma – ses scénarios ne sont jamais tournés. Aussi décide-t-il un jour de tout laisser tomber, de quitter Paris pour prendre sa retraite dans une ville de province et ne plus rien faire. Et, pour ainsi dire, de n’être plus rien. Seulement, même s’il n’ose pas se l’avouer à lui-même, il finit par s’ennuyer un peu à force de vivre dans ce que Montesquieu aurait sans doute appelé « un néant affreux » et il décide de devenir lui-même le metteur en scène et l’acteur, dans la réalité, d’un scénario criminel qui tout d’un coup modifie la nature du roman. Nous avions au départ une sorte de comédie légère ; nous nous retrouvons dans la seconde partie pris dans un suspense hitchcockien, avec ce que cela implique de perversité : nous sommes, malgré nous, du côté du criminel et le dénouement, que nous ne dévoilerons pas ici, n’est pas sans rappeler les dénouements doux-amers de certains films de Woody Allen. Bien malin qui pourrait dire si la morale est sauve ou non.

Entretien avec Patrice Leconte
Comment répartissez-vous (comment se répartissent ?) vos activités de cinéaste et vos activités d’écrivain ?
Elles se répartissent de façon très anarchique. Quand une idée me trotte dans la tête et que, jour après jour, elle prend forme, je sais très vite s’il s’agit d’un film ou d’un roman. J’attends pour voir si cette idée résiste au temps, et je m’y mets. Il est vrai que se mettre à écrire un roman n’est pas aussi préoccupant, envahissant, qu’écrire un scénario.
Un héros scénariste, qui vit au départ à Montparnasse. Un récit à la première personne. Et d’autres « indices » encore… Quiconque vous connaît un peu ne peut s’empêcher de se demander quelle est la part autobiographique dans La Tentation du lac.
Je préfère parler de ce que je connais. J’habite à Montparnasse : pourquoi situerais-je le personnage de mon livre dans un quartier inconnu de moi ? Cela dit, en dépit de cette géographie précise, et de tant d’autres détails, ce roman n’est pas du tout autobiographique. Ou plutôt, il est le reflet de tentations secrètes qui, elles, le sont.
Deux films sont nommément cités dans votre roman : La Nuit du chasseur de Charles Laughton et Un jour sans fin d’Harold Ramis.
Pour ce qui est de La Nuit du chasseur, je trouve magnifique qu’un acteur, très bon par ailleurs, puisse avoir l’envie de faire ce film-là, et aucun autre. Être l’homme d’un seul film force mon admiration. D’autant que le film en question ne ressemble pas du tout à l’image que l’on peut se faire de Charles Laughton. Quant à Un jour sans fin, c’est un pur chef-d’œuvre que je revois une fois par an.
Une assez longue partie du roman est construite autour du Jeu des mille euros (ce qui n’est pas sans rappeler votre film Tandem). Êtes-vous un fidèle auditeur de cette émission ?
Je suis un auditeur du Jeu des mille francs (devenus euros) depuis toujours. On écoutait l’émission, rue Traversière, pendant le déjeuner familial. J’ai connu Roger Lanzac sous le chapiteau du cirque Pinder, Lucien Jeunesse, Louis Bozon, aujourd’hui Nicolas Stoufflet. Je n’écoute la radio qu’en voiture, et si, à 12h45 je suis en train de rouler pour aller quelque part, j’écoute le jeu.
Le thème de l’auto-effacement (et son corollaire, l’ubiquité) est déjà apparu dans vos romans. Est-ce un fantasme personnel ?
Ah oui, j’avoue, c’est un fantasme personnel. Mais je me rends compte, avec les retours sur ce bouquin, que c’est un fantasme partagé par des tas de gens : en chacun de nous il y a un Rodolphe qui sommeille. De là à passer à l’acte, non, bien sûr que non. Mais avouez que c’est tentant de disparaître de la circulation, de n’avoir plus de comptes à rendre à qui que ce soit. Non ?
Si l’on vous dit que toute la seconde moitié – « hitchcockienne » – de votre livre peut susciter chez le lecteur un réel malaise, que répondez-vous ? Où est la moralité dans cette histoire ?
Je suis conscient du malaise. Il est créé délibérément. Pour ce qui est de l’éventuelle morale, elle m’échappe. Peut-être qu’il n’y en a pas, après tout…
C’est la seconde fois que dans un roman (la première fois, c’était dans Les Femmes aux cheveux courts) vous précisez que vos personnages continuent de se voussoyer après avoir couché ensemble.
C’est une question de respect, et aussi une manière de fuir la banalité et le conformisme, à une époque où tout le monde tutoie tout le monde. J’aime beaucoup le vouvoiement, même après avoir couché.
Comment la couverture de La Tentation du lac a-t-elle été choisie ?
La couverture est très belle. Elle est de Blutch, très grand dessinateur, dont je suis un fan absolu. Nous nous connaissons. Quand j’ai écrit mon roman Monsieur Bouboule, je lui ai simplement dit : « Dessine un type énorme léger comme un papillon. » Et il a fait ce qu’il a fait. Une merveille. Pour cette Tentation du lac, je lui ai dit : « Un type de dos, sur un banc, face à un lac et des montagnes. » J’avais en tête les couvercles de boîtes de crayons Caran d’Ache. Dans les deux cas, Blutch n’a lu les livres qu’après. Ce type a un talent fou.
Vous avez commencé votre carrière comme auteur de bandes dessinées. N’avez-vous jamais été tenté de revenir à ce genre en assurant vous-même la partie dessin ?
Non, j’ai perdu la main et, même si une folle envie me prenait, ce ne serait guère raisonnable. Ça me prendrait un temps fou, et je préfère consacrer ce temps fou à d’autres projets. D’autant plus que, de nos jours, quel est l’avenir d’un album de bédé ? Il y en a tellement qui sortent chaque jour…
Propos recueillis par FAL
Patrice Leconte, La Tentation du lac, Arthaud, mai 2025, 208 pages, 19 euros