Jusqu’au bout de la nuit, les vies de Jacques Benoist-Méchin

Connu pour ses biographies de Jean Monnet (Fayard, 1996), Charles de Gaulle (Gallimard, 2002), Mendès France (Gallimard, 2007), le journaliste et historien Éric Roussel a décidé ici de se pencher sur une figure singulière, qu’il a rencontré au début de sa carrière : Jacques Benoist-Méchin, intellectuel renommé mais aussi figure de la collaboration pendant la guerre où il fut ministre sous Vichy.

Un homme déclassé et un intellectuel renommé

Descendant par sa mère d’un baron d’empire, Jacques Benoist-Méchin a beaucoup de dons : il est ainsi compositeur de musique, a une plume d’écrivain, une énorme capacité à synthétiser les faits. Il souffre aussi d’un père absent, qui dilapide la fortune familiale, et de la mort d’un frère dont il porte le prénom. Le jeune Benoist-Méchin réussit en tout cas à exister : il rencontre Proust, qu’il admire, et en tire un livre magistral. Il devient journaliste pour la presse de l’américain Randolph Hearst, aidé par sa parfaite maîtrise de l’anglais et de l’allemand. Mais Benoist-Méchin a aussi ses secrets : il est homosexuel, ce qui n’est pas forcément bien vu et doit surtout être vécu dans la clandestinité. Il a pourtant aimé passionnément une femme, Adrienne, sa meilleure amie, qui tombe enceinte de lui. Mais elle avorte. Sa destinée, devenu père, aurait-elle été différente ?

Le choix de l’Allemagne

Par tradition familiale, Benoist-Méchin est plutôt germanophile. Pacifiste, il fait le pari qu’Hitler veut la paix et une entente avec la France. Il écrit dans les années trente une histoire de l’armée allemande narrant la reconstruction et l’avènement des nazis, avec un brio souligné par toute la critique… et aussi un parti pris pro-allemand. Jamais Benoist-Méchin ne variera de cette position, même s’il admire le geste de résistance de de Gaulle en juin 1940. A Vichy, il fait partie de l’équipe de Darlan et prône une collaboration tous azimuts. Pour son plus grand malheur, il ira de déception en déception, constatant l’incurie de Pétain et ses ministres et aussi l’absence totale de volonté allemande de se concilier la France. Par une sorte de ruse intellectuelle, Benoist-Méchin n’y voit pas pour autant une raison d’arrêter la collaboration, au contraire. Il s’entête. Laval lui rend peut-être service en l’écartant, son dossier aurait pu alors très lourd s’il avait connu les dérives de la répression de 1943-44…

La fascination pour le monde arabe

Condamné à mort en 1947, il est gracié par Auriol, peut-être parce qu’on n’a pas envie en haut lieu que Benoist-Méchin s’étende sur les compromissions du général Juin lors de sa visite à Berlin en 1941… En tout cas, notre intellectuel va se prendre de passion pour le monde arabe, qu’il va étudier en prison. Dans les années 1950, il se réinvente en biographe et ses ouvrages sur Ibn Seoud et Mustapha Kemal vont connaître un grand succès. Benoist-Méchin voyage beaucoup au Maghreb et au Machrek, construit un réseau et finit même par jouer un rôle politique. Favorable à la politique arabe du général de Gaulle, notre historien joue les intermédiaires et les messagers, parfois à la demande d’officiels français, sans grand succès. Ainsi Khadafi le manipule éhontément… Une déception pour ce grand amoureux du monde arabe, qui rêvait de construire un pont entre l’orient et l’occident. Voici un parcours complexe, riche, qu’Éric Roussel nous peint avec sa maestria coutumière.

Sylvain Bonnet

Éric Roussel, Jusqu’au bout de la nuit, Perrin, mars 2025, 416 pages, 24,90 euros

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